La parole à Zeinabou Mint Abdel Jelil, Présidente du Conseil national de la Jeunesse en Mauritanie
A 38 ans, Zeinabou Mint Abdel Jelil possède un riche parcours professionnel. Actuellement, elle est Présidente du Conseil national de la Jeunesse mauritanienne, dont le rôle est de faire entendre la voix des jeunes auprès des hautes autorités et de participer à la conception et la mise en œuvre des stratégies et programmes jeunesse.
Zeinabou est aussi une actrice importante de l’écosystème entrepreneurial mauritanien. En 2014, elle a fondé un incubateur axé sur les nouvelles technologies, en collaboration avec d’autres jeunes leaders, afin de faire profiter la jeunesse mauritanienne d’autres expériences digitales du continent africain. Elle s’est prêtée au jeu de l’interview afin de partager les potentiels et aspirations de la jeunesse mauritanienne.
Quelle place occupent les jeunes aujourd’hui en Mauritanie ?
Les jeunes, toute tranche d’âge confondue, représentent en Mauritanie la majorité de la population. C’est une jeunesse qui est ambitieuse, persévérante, qui est ouverte au monde grâce à l’utilisation massive des réseaux sociaux. Les jeunes mauritaniens ont beaucoup d’aspirations pour une éducation meilleure et pour plus d’accès aux opportunités d’emploi, aux divertissements et aux loisirs.
Des efforts considérables ont été faits ces dernières années, pour assurer un avenir meilleur pour la jeunesse.
Au niveau politique, il y a une réelle volonté de les impliquer dans le développement du pays : à titre d’exemple, pour les élections législatives de l’an dernier, une nouvelle liste a été créée pour les jeunes de 18 à 35 ans afin qu’ils puissent directement accéder au parlement. Cela leur donne plus de voix dans la sphère décisionnelle et nous espérons que cette expérience va motiver d’autres jeunes à s’engager en politique et être des vrais acteurs de changement de la société. Nous avons également vu un encouragement de l’implication des jeunes dans l’administration publique par la nomination de jeunes à des postes clés.
Au niveau économique, des fonds spéciaux ont été créés pour financer les programmes d’autonomisation économique de jeunes, comme le fonds de l’emploi de 20 milliards d’ouguiyas. Des programmes innovants pour améliorer l’employabilité des jeunes et leurs engagements dans la société ont été lancés : le PAREJ (employabilité), Mechroui Moustakbeli (entreprenariat), Mehneti (formation professionnelle ), Samah (financement de la société civile), Watanouna (volontariat), etc.
On constate également une forte implication de jeunes dans les structures de la société civile. Mais ils ont aussi besoin d’accompagnement pour le renforcement des capacités, car les défis à relever sont nombreux.
Pour soutenir le développement de l’écosystème de l’entreprenariat numérique, le Startup Act Mauritanie a été adopté. Il met l’accent sur la créativité, l’innovation, l’utilisation des nouvelles technologies, la création de valeur ajoutée et la compétitivité au niveau national et international. Il prévoit également la mise en place d’un label de mérite et d’avantages pour les acteurs de l’écosystème de l’entrepreneuriat numérique et de l’innovation, notamment les entrepreneurs, les startups, les structures de soutien et les investisseurs.
Comment davantage soutenir la jeunesse ?
Malgré les efforts consentis et les moyens mobilisés pour l’autonomisation de la jeunesse, elle fait encore face à des défis majeurs d’ordre structurel et conjoncturel. Son niveau d’aspiration est en perpétuelle évolution. Il reste donc beaucoup à faire pour relever ces défis et accélérer les progrès en matière de capital humain et faire de la jeunesse un véritable levier de croissance et de progrès pour le pays.
Dans ce cadre, il faut adopter une approche holistique pour l’autonomisation de la jeunesse, combiné à une collaboration étroite avec les partenaires du développement, à la mobilisation du potentiel du secteur privé local et international et à l’engagement de la diaspora. La création d’un mécanisme de coordination efficace s’impose. La nouvelle Stratégie nationale de la Jeunesse 2024-2030 peut constituer une bonne base pour l’opérationnalisation de ce mécanisme.
D’autre part, une mise à niveau du système éducatif universitaire est impérative afin de réduire l’inadéquation des compétences à la demande du marché du travail.
Le soutien à la formation des jeunes dans les métiers de l’avenir, tels que les technologies numériques avancées, l’économie verte (hydrogène, etc.) est primordial. Par exemple, la création d’un centre d’excellence en codage pour former nos jeunes au codage avancé peut être envisagée. Une attention particulière doit être donnée à un secteur émergent dans la région, celui des industries créatives (musique, art, mode et design, cinéma) qui regorge des potentialités d’insertion des jeunes, surtout issus des milieux défavorisés.
Par ailleurs, la multiplication des programmes de promotion de l’entreprenariat et la diversification de nos mécanismes de financement sont nécessaire pour développer notre écosystème et libérer plus d’opportunités d’emploi pour nos jeunes. L’une des solutions envisagées est de coupler cela avec la création d’un fonds de garantie spécial pour le financement de jeunes. C’est aussi important d’encourager l’entrepreneuriat agricole et de travailler sur l’ensemble de la chaîne de valeur agricole (production, transformation et commercialisation), ainsi que sur les activités connexes, telles que le secteur des services (transport, commerce, etc). Ceci doit être accompagné d’une stratégie spécifique pour favoriser l’accès à la terre pour les jeunes.
En milieu rural, les jeunes devraient être accompagnés par des structures d’accompagnement spécialisées afin de leur permettre de capter les opportunités économiques spécifiques à chaque région. Par exemple, dans la vallée, on peut se concentrer sur l’agriculture, dans les régions du nord, sur les activités minières, etc. Les jeunes peuvent être soutenus à travers des expériences pilotes qui seront élargies grâce à un accompagnement spécifique. Compte tenu de la situation régionale et des conditions économiques, sécuritaires, culturelles, il est important de sensibiliser à la cohésion sociale, à l’ouverture à l’autre, notamment à l’accueil des réfugiés.
Quel est le rôle des femmes et des jeunes filles dans le secteur de l’entrepreneuriat ?
En Mauritanie, malheureusement la place des femmes dans l’entrepreneuriat formel est limitée à cause de contraintes, notamment structurelles. Dans le secteur informel, des femmes travaillent d’une manière extraordinaire, souvent dans ce qu’on appelle l’entrepreneuriat de nécessité. Elles doivent être accompagnées à formaliser leurs initiatives et à passer d’une activité de nécessité à une activité réelle de production et de de création de valeur. Avec des investissements ciblés, on pourrait voir le nombre de femmes qui dirigent des petites entreprises formelles augmenter.
Je formulerais 2 recommandations par rapport au secteur formel et informel.
Tout d’abord, utiliser le système de quotas. Par exemple, dans le patronat national, qui reste le plus grand rassemblement de chefs d’entreprises mauritaniens. Il serait nécessaire d’y imposer un quota dans la représentation des femmes dans le directoire. Il serait pertinent également de créer des incitations fiscales, des exonérations pour les sociétés dirigées par des femmes. Ceci amènerait les entreprises familiales à confier davantage de responsabilités aux femmes et aux filles.
Pour appuyer cette idée, je me base sur ce que nous avons connu avec notre Parlement où a été établi un quota de 20% de postes éligibles réservés aux femmes sur les listes de candidats aux élections législatives et municipales. Quand les femmes ont pris leur place dans le Parlement, cela est devenu un acquis. Voir les femmes s’engager en politique est un facteur de motivation.
Pour le secteur informel, il faut profiter des avancées du digital. Essayer de développer des plateformes digitales qui donnent à la fois un accompagnement aux femmes dans certains secteurs de l’informel et qui permettent de vendre les produits. Les services électroniques commencent à avoir un développement extraordinaire en Mauritanie, que ce soit pour le paiement, la livraison ou encore la publicité en ligne. Grâce à des programmes d’accompagnement, on peut amener les femmes actives dans le secteur informel à utiliser ces plateformes pour commercialiser leurs produits, gagner en visibilité et formaliser leur entreprise car elles s’inscrivent dans un système organisé !
Comment les partenaires au développement peuvent-ils collaborer davantage avec la jeunesse ?
Il est nécessaire de travailler à une meilleure coordination des actions destinées à la jeunesse, que ce soit du côté de l’État ou des bailleurs. Une plateforme de coordination des interventions pour la jeunesse est nécessaire. La stratégie nationale de la jeunesse 2024-2030 qui vient d’être adoptée est très ambitieuse et peut aider à davantage de coordination. J’invite également les partenaires au développement à se rapprocher des jeunes, à ouvrir un dialogue permanent avec eux. Cela peut se faire à travers le Conseil de la Jeunesse qui est l’instance qui regroupe toute la jeunesse mauritanienne, ça peut aussi se faire à travers d’autres canaux.
En dépit des défis majeurs auxquels est confronté notre région, elle regorge de potentialités non encore exploitées. C’est à nous de faire avancer les choses. Nous devons étendre notre force et notre dynamisme dans tous les segments de la société. Profitons des opportunités offertes par l’innovation et le digital pour transformer nos défis en opportunités. Concevons, proposons et développons des solutions créatives, innovantes et inclusives pour répondre à nos problèmes de développement.
Zeinabou Mint Abdel Jelil
Quelle place occupe le secteur des technologies de l’information et de la communication dans l’avenir des jeunes? Comment l’innovation pourrait soutenir davantage la croissance au Sahel ?
La sphère du digital occupe beaucoup les jeunes en Mauritanie et au Sahel. Beaucoup passent un temps important sur leur téléphone portable, le prix de ces appareils s’étant fortement démocratisé, tout comme l’accès à internet. Les avantages du digital peuvent être utilisés pour orienter les jeunes, pour améliorer leur niveau de compétences. Nous devons révolutionner notre manière de communiquer avec eux. Les jeunes ne regardent plus la télévision et n’écoutent plus la radio. Mais ils écoutent un podcast ou regardent une vidéo de 30 secondes sur TikTok. Nous devons nous adapter à ce changement de paradigme pour assurer une communication efficace avec nos jeunes.
Par ailleurs, il est important que nous capitalisions sur l’utilisation massive des outils digitaux par la jeunesse pour développer des outils d’apprentissage adaptés à leur besoin et pour les orienter vers le développement de solutions entrepreneuriale qui répondent à nos différents problèmes de développement.
Par exemple, les jeunes qui n’ont pas fait d’études peuvent être insérés grâce au digital, en créant leur emploi dans le design graphique ou le codage. Ce sont des métiers valorisants et passionnants qui peuvent être appris en dehors des bancs de l’université.
Les jeunes ont besoin d’un peu d’accompagnement pour la formation et l’accès à un petit financement pour acheter des équipements. Ensuite, ils peuvent se lancer dans un secteur innovant et passionnant comme celui des industries créatives. C’est un secteur qui pourrait permettre d’absorber le chômage des jeunes qui n’ont pas suivi d’études.
A la jeunesse mauritanienne et sahélienne, je veux dire ceci: « En dépit des défis majeurs auxquels est confronté notre région, elle regorge de potentialités non encore exploitées. C’est à nous de faire avancer les choses. Nous devons étendre notre force et notre dynamisme dans tous les segments de la société. Profitons des opportunités offertes par l’innovation et le digital pour transformer nos défis en opportunités. Concevons, proposons et développons des solutions créatives, innovantes et inclusives pour répondre à nos problèmes de développement. »