Face aux défis de la sécurité alimentaire, renforcer la résilience des communautés au Sahel
Les investissements visant à renforcer la résilience permettent aux populations du Sahel de mieux résister aux chocs climatiques et socio-économiques. Le Programme alimentaire mondial (PAM) joue un rôle clé, en apportant une aide d’urgence lors des crises alimentaires, mais également en travaillant à renforcer la capacité d’adaptation des populations sur le long terme.
Ones Karuho, Chef du département résilience et systèmes alimentaires pour le PAM en Afrique de l’Ouest, a rejoint le PAM en 2022, après avoir travaillé durant plusieurs années auprès d’agences spécialisées dans le développement de systèmes agricoles. Dans cette interview, il nous explique comment les communautés deviennent plus résilientes aux multiples défis de la région du Sahel.
Qu’est-ce qu’un programme de résilience ? Quel rôle jouent ces programmes dans le contexte du Sahel ?
Le PAM a longtemps répondu aux situations d’urgence. Mais à un certain moment, nous nous sommes dit que nous devions aller plus loin et renforcer la résilience des populations du Sahel, afin qu’elles puissent résister aux chocs et aux facteurs de stress.
Chaque année, elles vivent des périodes de famine et c’est prévisible. Plutôt que de seulement planifier une réponse à ces crises, nous avons décidé de renforcer leur résilience en allant au-delà de l’assistance à court terme aux familles et aux personnes touchées, afin qu’elles puissent non seulement absorber les chocs, mais aussi s’adapter en recourant à d’autres méthodes.
Par exemple, les éleveurs se déplacent d’un endroit à un autre à la recherche de pâturages plus verts, mais ils pourraient développer une chaîne de valeur du fourrage et des points d’eau pour que les animaux restent au même endroit ou pour minimiser la distance de leur transhumance. Cela réduirait leur empreinte carbone, tout en gardant leurs enfants à l’école et en augmentant leur productivité.
La résilience consiste aussi à transformer la capacité à faire face aux chocs climatiques. Le PAM travaille avec les communautés du Sahel pour réhabiliter les terres dégradées. Au Sahara, la désertification progresse vers le sud. Nous devons avant tout réhabiliter les terres dégradées tout en protégeant les terres fertiles menacées par la désertification.
La résilience dans le contexte de la gestion des risques (famine, sécheresse, inondation, etc.) fait référence à la capacité d’un système ou d’une communauté à faire face à des perturbations tout en préservant ses fonctions essentielles.
Elle comprend 3 composantes principales :
– La capacité d’absorption (aider les populations à absorber les chocs immédiats)
– La capacité d’adaptation (les aider à modifier les pratiques existantes pour mieux faire face aux chocs)
– La capacité de transformation (les aider à transformer de manière durable et proactive les systèmes agroalimentaires, en changeant radicalement la manière dont les aliments sont produits et consommés, la manière dont les ressources sont gérées, etc.)
Est-ce que les programme de résilience amènent de l’espoir au Sahel ?
Il y a des signaux positifs. Prenons l’exemple de pays comme le Niger et le Burkina Faso. En 2023, de nombreuses familles n’ont pas eu besoin d’aide humanitaire parce que leur résilience avait été renforcée. Lorsque nous avons réalisé une enquête dans les communautés où nous avions mis en œuvre des programmes de résilience depuis plus de trois ans, 80% de ces villages n’avaient pas besoin d’aide humanitaire. Ils étaient dans une meilleure situation que les endroits où nous n’avions pas mis en place de programmes de résilience. Cela a donc réduit le besoin d’aide humanitaire.
Au Mali, j’ai visité une communauté où le PAM avait collaboré avec d’autres partenaires pour réhabiliter des points d’eau, permettant ainsi aux animaux de s’abreuver. En même temps, un centre de collecte de lait avait été créé, où les éleveurs pouvaient vendre leur lait. Ce centre de collecte était lié à notre programme d’alimentation scolaire.
Ainsi, il est possible de renforcer les moyens de subsistance au Sahel, tout en renforçant la résilience des communautés. Je pense que nous pouvons maintenant passer à l’échelle supérieure car nous voyons les résultats.
Que conseilleriez-vous aux partenaires et acteurs de la région pour étendre les projets de résilience ayant un impact positif ?
Les voies pour généraliser ces programmes passent par des partenariats, non seulement avec d’autres agences humanitaires ou de développement, mais aussi avec les gouvernements et les institutions financières internationales.
Ces programmes sont traditionnellement coûteux. Il est donc très important de pouvoir faire appel à des institutions financières internationales, comme la Banque mondiale, la Banque africaine de développement et la Banque islamique de développement.
Ces institutions proposent différents produits qui permettent d’investir dans la résilience. Elles ont d’ailleurs déjà commencé à travailler au Sahel avec les gouvernements, le PAM et d’autres partenaires pour développer des programmes de renforcement de la résilience, car elles ont constaté qu’un dollar dépensé dans des activités de renforcement de la résilience permet d’économiser entre trois et six dollars d’aide humanitaire.
Un autre moyen d’accroître la résilience est de développer les partenariats avec les gouvernements en termes de politiques axées sur la résilience, de promouvoir l’investissement public dans des actifs clés tels que l’eau et les systèmes de micro-irrigation, de continuer à réhabiliter les terres, mais aussi d’encourager l’adoption de pratiques intelligentes sur le plan climatique.
Qu’entendez-vous par agriculture intelligente (« smart agriculture ») ?
L’agriculture intelligente signifie que les petits agriculteurs et les éleveurs adaptent certaines de leurs pratiques affectant négativement le climat. Cela implique par exemple des techniques comme le non-labour (qui consiste à ne pas retourner la terre avant de planter), le travail minimum de la terre afin de ne pas perturber les sols, l’utilisation d’engrais organiques ou de fumier. Cela permet de maximiser les rendements et de limiter l’impact sur le climat, tout en continuant à améliorer les conditions de vie des agriculteurs. Dans les écosystèmes rizicoles, des pratiques telles que l’humidification et le séchage alternatifs et la combinaison de la riziculture et de la pisciculture réduisent les émissions de méthane des exploitations rizicoles.
L’agriculture intelligente (ou smart agriculture) est une approche moderne de la production agricole qui utilise les technologies numériques et les innovations pour optimiser les pratiques agricoles. Elle vise à améliorer la productivité, à gérer les ressources de manière plus efficace et durable, et à répondre aux défis tels que le changement climatique, la croissance démographique et la sécurité alimentaire. Par exemple, gestion durable des ressources (eau, énergie,…), utilisation des technologies numériques (drones…), analyse des données pour prendre des décisions (plantation, rendement,…).
Que peut-on faire pour continuer à travailler sur la résilience dans les régions fragiles du Sahel, en proie à l’insécurité ?
Tout d’abord, c’est très important de contenir la violence et de ne pas laisser le conflit s’étendre à d’autres régions. Le moyen d’y parvenir, c’est d’offrir des alternatives aux jeunes. S’ils ont accès à des compétences et à financements, les jeunes peuvent développer une activité leur permettant de subvenir à leurs besoins. Sinon, ils se contenteront d’intégrer des groupes armés. Encourager les jeunes à se lancer dans l’agriculture ou l’élevage, en utilisant des méthodes modernes comme la mécanisation ou des systèmes d’irrigation, permettrait de contribuer à ramener la paix.
Aujourd’hui, nous sommes dans une situation où nous avons des conflits actifs. Des populations se déplacent pour se mettre en sécurité. Les communautés qui accueillent ces populations déplacées doivent être soutenues. En effet, l’afflux de personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays a un impact négatif sur les ressources naturelles et sur les systèmes locaux d’alimentation.
Lorsque c’est possible, il faut pouvoir entrer dans les zones en cours de pacification et s’engager avec les communautés pour les aider à récupérer l’accès à leurs ressources, en particulier la terre et l’eau.
Dans un contexte fragile, les règles sont chamboulées. Il faut donc adapter nos approches et être flexible en termes de financement et de partenariats.
Photos: Aude Rossignol / Alliance Sahel
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