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« L’Alliance Sahel est plus pertinente que jamais »

Quelques jours avant la 3ème Assemblée générale de l’Alliance Sahel, Rémy Rioux, Directeur de l’Agence française de développement (AFD), revient sur la raison d’être de l’Alliance et pointe les leviers sur lesquels agir pour co-forger avec les partenaires du Sahel un avenir meilleur pour les sahéliens et sahéliennes.

L’actualité politique et sécuritaire de la région du Sahel fait écho à la détérioration des conditions de vie des communautés. Dans ce contexte préoccupant, l’Alliance Sahel est-elle toujours pertinente?

Il n’y a aucun angélisme ni irréalisme dans notre analyse de la situation sahélienne. Il est nécessaire d’avoir un lieu où les spécialistes et les professionnels cherchent des solutions et nouent le dialogue avec leurs partenaires africains.

Né en 2017 sous l’impulsion du président de la République française Emmanuel Macron et de la chancelière allemande Angela Merkel, avec l’Union européenne, la Banque africaine de développement, la Banque mondiale et le PNUD, ce lieu existe et il s’appelle l’Alliance Sahel. Il est plus d’actualité et pertinent que jamais.

L’Alliance à elle toute seule ne va pas résoudre la crise, bien sûr, qui suppose une concorde politique dans les territoires déstabilisés et parce qu’il n’y a pas de développement sans sécurité, mais il n’y a pas de sécurité sans développement.  Le cadre des « 3 D » (Diplomatie, Défense et Développement) doit aider à rassurer sur l’avenir possible de cette région. Le développement est particulièrement important parce que c’est ce qui peut laisser espérer une réconciliation durable, en offrant la perspective d’une vie meilleure pour les générations futures.

L’enceinte de l’Alliance Sahel est vivante. Nous sommes très heureux de voir les bonnes volontés s’exprimer et joindre leurs forces pour chercher des solutions. Cette année, les Etats-Unis nous rejoignent, le Canada aussi, la Suède, qui sont des pays dont les voix distinctes et puissantes comptent sur les questions de développement. Elles vont s’ajouter à notre capacité collective.

L’Alliance évolue dans sa composition, mais aussi dans sa stratégie. Il faut être capable de travailler dans l’épicentre des crises, mais certainement aussi amplifier nos interventions dans les zones de prévention. Il est nécessaire de maximiser les impacts économiques et de création d’emplois, et s’adresser plus directement à la jeunesse sahélienne.

Je crois qu’il faut aussi pousser les actions de développement, quand c’est possible, jusqu’aux questions de droits, de démocratie et de construction de l’Etat. Non pas en faisant du « state building », en prétendant avoir toutes les réponses, mais pour accompagner la réaffirmation, la redéfinition, le redéploiement, la re-légitimation des institutions publiques des pays concernés. Ceci dit avec beaucoup de modestie, mais en ne s’interdisant pas d’échanger aussi sur cette dimension-là qui me semble faire partie intégrante de l’action de développement.

L’Alliance existe, c’est heureux. Imaginez un instant la situation si l’Alliance n’existait pas! Il faut parfois raisonner de manière contrefactuelle. Sans l’Alliance Sahel aujourd’hui, dans la situation actuelle, quelle serait notre capacité de réponse à la crise? Bien sûr c’est difficile, bien sûr les défis sont énormes, mais nous avons une base solide sur laquelle construire une nouvelle étape dans la réponse. J’en remercie tous les membres et partenaires de l’Alliance.

Intervention de Rémy Rioux lors de la conférence sur l’accès à l’énergie dans les pays du Sahel (2019).

Quels sont les vecteurs d’espoir et les leviers importants sur lesquels travailler aujourd’hui pour co-forger avec les partenaires sahéliens un avenir meilleur pour les citoyennes et les citoyens de la région? Quel rôle pourrait jouer la jeunesse sahélienne et quels moyens devraient lui être donnés pour jouer ce rôle?

Il y a des motifs d’espoir. Au Sahel aujourd’hui, je vois beaucoup d’acteurs positifs engagés. Il existe un grand nombre d’actions sur le terrain à leur initiative, souvent accompagnées par les membres de l’Alliance Sahel. Nous ne sommes pas dans un contexte inerte, ni dans une situation d’abandon.

Comme le dit l’historien Achille Mbembe, nous devons cesser de voir les questions de développement comme une « sociologie du manque », en disant que l’on intervient dans des pays, dans des territoires, des sociétés où il manque quelque chose que nous viendrions combler. Il faut parfois au contraire regarder les questions de développement et les difficultés des pays comme un problème de « trop plein »: trop d’identités, trop d’institutions, trop de légitimités concurrentes, trop d’actions qui peinent à former un projet collectif.

Les sociétés sahéliennes sont si riches de complexité, d’histoire, de légitimité, d’activités. Le Sahel est aussi la région d’Afrique qui a le plus fort taux de croissance depuis une dizaine d’années. Comment ces activités, ces tensions, qui sont aussi une force, peuvent-elles reconverger, reconstituer des projets collectifs? Ces forces existent, elles sont déjà dans le Sahel. Notre action, celle de l’Alliance Sahel, est plutôt de les comprendre en profondeur, de les appuyer, de les aider à converger dans des projets collectifs.

Les Nations Unies, à l’initiative de mon ami Ibrahim Thiaw, ont réalisé un travail utile et passionnant pour un nouveau narratif sur le Sahel, en mobilisant notamment des artistes pour produire « the Sahel song », pour mettre en lumière la résilience des populations.

Un autre exemple, le programme Sahéliens-Sahéliennes 2040, que l’AFD accompagne avec l’appui de l’écrivain et économiste Felwine Sarr, a également permis de libérer des éléments d’un récit positif.

Le puissant projet de la Grande Muraille Verte se construit progressivement autour de grands engagements pour combattre les changements climatiques et la désertification et lutter contre l’insécurité alimentaire et la pauvreté.

C’est une somme d’actions très concrètes particulièrement pertinentes, notamment face aux tensions que va connaître le marché alimentaire dans les prochains mois. Il est important d’expliquer ces résultats, ces initiatives, de donner une voix à celles et ceux qui cherchent à rebâtir un projet collectif pour les pays du G5 Sahel et l’Afrique de l’Ouest dans son ensemble.

Dans cette perspective, les femmes et les jeunes ont une contribution déterminante à apporter. Les jeunes car c’est du Sahel à moyen et long terme dont il faut se ressaisir aujourd’hui, de telle sorte que cela ait un effet sur du court terme, sur la crise elle-même. Et puis les femmes parce qu’elles peuvent jouer un rôle clé dans la pacification, si on leur donne une voix plus forte. Une compréhension fine, respectueuse, est nécessaire pour accompagner les contributions que les différents acteurs des sociétés peuvent apporter.

Le Sahel n’est pas un désert, il ne l’a jamais été, on ne s’en préoccuperait pas autant d’ailleurs s’il n’était pas composé de richesses et potentiels humains et économiques.

Quelle importance accordez-vous à la jeunesse dans les projets et programmes financés par l’AFD?

Depuis son discours de novembre 2017 à Ouagadougou, le Président de la République française Emmanuel Macron a fait de la jeunesse une priorité, dans toutes nos actions. Il nous a demandé de prêter attention à l’accompagnement des jeunes, de développer des programmes qui leur sont dédiés de façon systématique dans toute notre action, partout en Afrique et ailleurs.

C’est une dimension que nous avons intégrée dans la conception des projets que nous finançons en essayant de cibler un maximum d’actions sur l’emploi des jeunes.

Visite de Rémy Rioux, Directeur de l’AFD, à l’hôpital Bon Samaritain (Tchad). Photo: AFD

Dans les industries culturelles et créatives, par exemple, le projet MédiaSahel, que nous finançons avec l’Agence française de développement médias (CFI), mobilise des acteurs reconnus comme RFI, la Fondation Hirondelle ou l’Union nationale de l’audiovisuel libre du Faso (UNALFA), dans le but de promouvoir l’inclusion socio-économique des jeunes sahéliennes et sahéliens par la création de contenus attractifs, interactifs et ouverts, dans les principales langues locales. Ce projet permet la formation de plus de 200 journalistes dans au moins 80 médias et 5 600 émissions à destination des jeunes ont déjà été produites au Mali, Burkina Faso et Niger en français et en langues nationales.

Un autre exemple de projet structurant est le projet PECOBAT, que nous finançons avec l’Union européenne en Mauritanie, et qui accompagne les jeunes dans leur insertion professionnelle dans le secteur très porteur du BTP. Ce projet devrait permettre la formation professionnelle de près de 1700 jeunes dont 25% de femmes ainsi que la construction de 10 infrastructures scolaires et de développement local.

Projet de chantier école, projet PECOBAT (Mauritanie). Photo: BIT/Alfredo Caliz.

Au-delà de ces exemples, je crois qu’il s’agit avant tout d’une orientation et d’un esprit: il faut rechercher le dialogue, se rapprocher des jeunes, pour les comprendre, eux qui évoluent souvent dans des sociétés très hiérarchisées où la séniorité prime et où il est difficile de se faire une place. Pour les générations actuelles, la crise réduit les chances de fonder une famille, d’avoir un emploi, d’avoir la vie à laquelle les jeunes aspirent et à laquelle ils ont droit. Il faut chercher à offrir d’autres opportunités.

A quelles avancées concrètes en termes de résilience et de développement socio-économique l’AFD a-t-elle pu contribuer dans l’espace G5 Sahel, en particulier dans les zones dites fragiles?

Le plan d’action Ménaka au Mali comprend une dizaine de projets engagés en concertation avec les autorité locales et nationales, les membres de l’Equipe France et de l’Alliance Sahel. Les actions du programme Ménaka allient une réponse rapide aux besoins prioritaires des populations dans les domaines sociaux et économiques à des actions structurantes de déploiement des services et de bonne gouvernance.

Lancé en 2019 ce plan d’action de plus de 40 M€ a notamment permis la construction de 43 ouvrages hydrauliques, donnant accès à l’eau potable à 50 000 personnes, l’aménagement 25 salles de classes pour 4 000 élèves, ou encore l’appui à 28 structures de santé, dispensant 38 000 consultations curatives chaque semestre. C’est significatif, à l’échelle de ce territoire.

Au Burkina Faso, le projet Dori conçu par l’Association locale Nodde Nooto (A2N) et la municipalité, que je remercie, permet le renforcement de la cohésion sociale, notamment par le renforcement ou la création de cadres de dialogue et de médiation. Ce projet a permis de réhabiliter 6 écoles et 2 centre de santé, d’organiser 14 caravanes de la paix à travers 44 villages ou encore de délivrer 2 500 extraits d’actes de naissance ou jugements supplétifs.

Il est important de disposer d’outils spécifiques pour les zones fragiles, des outils capables à la fois d’aller plus lentement, plus profondément pour comprendre les contextes, mais également plus vite dans la mise en œuvre des activités. A l’AFD, nous avons développé ce type d’outil. Il s’agit de changer le rythme de l’action de développement et d’intégrer plus fortement encore les populations que ce que l’on peut faire dans des territoires plus pacifiés.

Le Sahel, on le vit depuis cinq ans à l’AFD, est un lieu d’innovation. Le contexte sahélien nous a permis d’adapter nos procédures, de les rendre plus agiles, plus efficaces et rapides pour répondre aux besoins des populations. A ce titre, les résultats parlent d’eux-mêmes: c’est la région où nous décaissons le plus vite, tout en conservant nos exigences de qualité.

L’Alliance Sahel doit être aussi le lieu du partage d’initiatives innovantes en Afrique de l’Ouest. Je me réjouis de participer à l’Assemblée générale de l’Alliance à Madrid, le 4 avril, aux côtés de Jean-Yves Le Drian, notre ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères si engagé sur ce sujet, avec tous les partenaires de l’Alliance. Nous serons à l’écoute des ministres du G5, afin de préparer ensemble une autre étape, vraisemblablement celle d’un engagement renforcé, de long terme, fier des résultats déjà accomplis ensemble et avec une vision positive de l’avenir.


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