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Egalité de genre au Sahel: Investir dans les femmes crée un impact positif sur l’ensemble de la société

Malgré les défis, le Sahel regorge de pratiques innovantes qui améliorent l’égalité femme-hommes et les droits des femmes et des filles. Co-lead du groupe de travail Genre de l’Alliance Sahel et Chargée supérieure Genre et Innovation au sein de la Banque africaine de Développement (BAD), Aïssatou Aïda Dosso partage les barrières et les opportunités à la réalisation de l’égalité de genre au Sahel, et comment les membres de l’Alliance Sahel agissent pour accompagner les efforts des pays du Sahel.

Quels sont les principaux défis à la réalisation des droits des femmes et des filles au Sahel ?

En raison des inégalités, les femmes au Sahel sont affectées de manière disproportionnée par les problèmes généraux de gouvernance, d’insécurité, de changement climatique, de choc sanitaire. Et d’un autre côté, les pays du Sahel présentent des disparités de genre au niveau de l’éducation, de la santé (et notamment les questions spécifiques liées à la santé des femmes, comme les violences basées sur le genre), l’accès aux opportunités et à la représentation.

Pour évaluer l’état de l’égalité du genre, la Banque africaine de Développement (BAD) produit l’Indice de l’Egalité des Genre en Afrique qui mesure trois dimensions: économique, sociale, représentation et autonomisation. On remarque que les inégalités sur ces trois dimensions sont les plus accrues dans la région du Sahel. Le score régional du Sahel est de 32,4% pour l’ensemble des 5 pays de la région du Sahel. Il en résulte un écart entre les sexes de 67,6% sur ces 3 dimensions.

Sur le plan économique, l’indice mesure le taux d’activité, le taux d’emplois vulnérables, l’accès au crédit et à la terre, etc. On constate que les femmes sont plus exposées aux questions de pauvreté. Elles font face à des barrières spécifiques liées à l’accès à la terre, au crédit, à l’emploi formel. Elles portent essentiellement la charge du travail domestique et de soin qui représente une contrainte importante pour les femmes de sorte qu’elles ont en moyenne moins de temps à consacrer aux activités productives

Quand on regarde la dimension sociale, qui mesure des indicateurs liés à l’éducation et la santé notamment, on voit des différences de taux d’alphabétisation, de scolarisation. Plus on avance dans les échelons de l’éducation, plus les disparités entre les hommes et les femmes s’accroissent. Il en résulte que les femmes sont en générale moins instruites et moins compétitives sur le marché de l’emploi.

Au niveau de la représentation, on remarque que les femmes sont malheureusement sous-représentées au niveau exécutif, judiciaire et législatif, malgré tous les efforts que les pays ont faits en instaurant des quotas qui placent à environ 30% la représentation des femmes. Des efforts restent à fournir afin d’atteindre cet indicateur. Il y a des incitatifs et des mesures prises tant au niveau des gouvernements que de la société civile, mais les chiffres restent en-dessous du seuil fixé: seuls 20% de postes ministériels dans les pays du Sahel sont occupés par des femmes. Il y a donc moins d’espace pour les femmes pour pousser leurs revendications et imposer leurs priorités à l’agenda politique.

Au niveau de la santé, les violences basées sur le genre sont assez importantes, notamment si on prend en compte les mutilations génitales féminines. De plus, l’accès des femmes aux soins de santé sexuels et reproductifs demeure faible, avec une forte variation entre le milieu urbain et le milieu rural.

Cette combinaison de facteurs fait en sorte que les femmes font face à des barrières spécifiques qui les désavantage au niveau de leur autonomisation.

Formation professionnelle de jeunes filles, Liptako Gourma, Niger. Photo: Aude Rossignol/Alliance Sahel.

Quelles sont les opportunités pour l’amélioration des droits des femmes et des filles au Sahel?

Il y beaucoup d’opportunités qui se dessinent dans la région du Sahel pour la réalisation des droits des femmes et des filles, et surtout pour l’atteinte d’un développement inclusif.

Le cadre législatif et institutionnel est très robuste. Il ne se traduit pas encore au niveau des résultats, mais ce cadre présente de nombreux acquis que l’on peut apprécier au niveau des lois, des quotas, mais aussi des dispositifs mis en place, comme le Ministère Genre, la politique nationale Genre, les points focaux genre ou encore au niveau régional, avec la plateforme des femmes du G5 Sahel qui permet d’avoir une action concertée au niveau des pays pour accélérer les efforts et le plaidoyer.

Quel rôle jouent les femmes dans le développement de la région? 

Les femmes représentent environ 50% de la population, donc leur contribution au développement est significative, tout comme celle des jeunes ou des hommes.

Plus spécifiquement, les femmes offrent un potentiel important en termes de croissance, de cohésion sociale et de résilience multidimensionnelle (économique, nutritionnelle, climatique…). Elles jouent un rôle clef par rapport aux différents défis auxquels les pays du Sahel sont confrontés.

Au niveau de la résilience face au changement climatique, les femmes sont au cœur des stratégies d’adaptation locales en raison de leur rôle traditionnel au sein des ménages et de la communauté, mais aussi parce que elles ont un savoir-faire local respectueux de l’environnement. Ces pratiques méritent d’être davantage soutenues et constituent un excellent point d’entrée pour les programmes d’adaptation menés par les partenaires aux développement afin d’accroître la durabilité et l’appropriation des mesures au sein de communautés. Elles sont également responsables de l’agriculture vivrière et par ricochet, responsables de la nutrition des enfants, des familles et de la résilience alimentaire, dans un contexte particulièrement affecté par les chocs climatiques.

Travail agricole, Niger. Photo: Aude Rossignol/Alliance Sahel.

Sur le plan économique, les statistiques démontrent que les femmes en Afrique et spécifiquement de la région sont parmi les plus actives au monde ! Elles sont majoritaires dans le secteur agricole – épine dorsale des pays du Sahel – et très impliquées dans la commercialisation et la transformation des produits. Le secteur des services est également porté par les femmes. Elles représentent donc une force vive qui participe de manière effective au développement. Malheureusement, elles sont souvent dans des emplois vulnérables et peu compétitifs. Leurs entreprises sont souvent de très petites tailles et dans le secteur informel. Elles n’ont donc pas accès aux crédits, aux opportunités économiques et on ne parvient pas à clairement saisir leur contribution. Malgré tout, elles ont un impact très important au niveau de leur communauté. Il faut capitaliser, les outiller et trouver des stratégies qui permettent d’accélérer leur autonomisation.

Il est intéressant de voir comment les femmes s’organisent pour contourner leur exclusion du système financier, avec la mise en place des systèmes informels de tontine par exemples, c’est-à-dire des groupes d’épargne-crédit qui leur permettent d’accéder au capital. Quand les femmes se structurent, cela leur permet d’élargir leur activité et de contribuer à leur croissance.

La pauvreté du temps est un obstacle important auquel font face les femmes au Sahel : en raison des charges domestiques importantes, elles ont moins de temps pour les activités productives, elles sont donc moins rentables et moins bancables qu’un homme qui aurait plus de temps à mettre dans une activité de production.

Burkina Faso. Photo: Aude Rossignol/Alliance Sahel.

Comment l’Alliance Sahel et les pays du Sahel collaborent-ils concrètement pour améliorer l’égalité de genre?

Le Genre est une thématique prioritaire de l’Alliance Sahel. Pour opérationnaliser l’approche Genre, un groupe de travail spécifique a été mis en place, avec pour mission de s’assurer que « les femmes et les filles des pays du Sahel mènent une vie où leurs droits fondamentaux sont respectés, où elles participent pleinement à la formulation et à la mise en œuvre des politiques conformément à l’agenda 2030 et plus spécifiquement à l’Objectif de Développement Durable (ODD) 5 qui vise à réaliser l’autonomisation des femmes et des filles ».

Le groupe Genre a un certain nombre d’objectifs spécifiques autour desquels s’articule un plan de travail annuel qui regarde différents axes, dont la collaboration avec les acteurs du genre (le G5 Sahel, la plateforme des femmes du G5 Sahel, mais également les acteurs locaux, les organisations de la société civile, etc.).

La collaboration entre le groupe Genre de l’Alliance Sahel et le G5 Sahel se concrétise à plusieurs niveaux: opérationnel, stratégique, assistance technique, dialogue politique, gestion de connaissances. On les accompagne par exemple pour la production de données désagrégées par genre, ce qui permet de mettre sur pied des projets ciblés, efficaces, impactants.  

Le groupe Genre a également des interactions avec la plateforme des femmes du G5 Sahel. On a organisé ensemble un webinar sur le thème « Femmes, paix et sécurité » à l’occasion de la célébration des 20 ans de la Résolution 1325. Ceci a fourni une plateforme d’échange et de connaissance entre l’Alliance Sahel et les acteurs régionaux pour s’assurer qu’il y ait un alignement des actions de l’Alliance avec les priorités locales et régionales. En tant que co-lead, nous menons des discussions avec la Plateforme et les membres entretiennent bilatéralement des relations directes avec les acteurs.

Au niveau de l’accompagnement par les membres de l’Alliance Sahel, le portefeuille des projets au niveau sectoriel permet d’adresser les défis prioritaires des pays du Sahel, par exemple dans les secteurs énergie, jeunesse, agriculture. Ce soutien se fait de manière programmatique et opérationnelle. Le volet assistance technique est aussi très important, tout comme le dialogue politique: il s’agit de s’asseoir autour de la table de discussion avec les pays du Sahel pour réfléchir aux stratégies possibles afin de faire face aux défis.

Au niveau de la Banque africain de développement, nous avons deux approches: l’approche transversale où le genre est intégré dans les projets sectoriels (énergie, agriculture, infrastructure, etc.) et l’approche ciblée avec des projets spécifiquement « genre ». L’intégration transversale se fait grâce à notre outil de système marqueur genre, avec une catégorisation selon l’impact, de la catégorie 1 (pour les projets 100% orientés genre) jusqu’à la catégorie 4 (pour les projets qui ont un impact minimal sur le genre). Dans la réalité, il y a très peu de projets de catégorie 4 et de plus en plus de projets qui ont comme objectif principal la réduction des inégalités entre les hommes et les femmes.

Par exemple:

  • Le projet Desert to Power a une forte dimension genre. On sait à quel point la pauvreté énergétique repose sur les femmes, donc les questions d’énergie, de changement climatique et de genre sont indissociables. Ce projet permet d’adresser les questions d’énergies renouvelables dans les pays du Sahel, en permettant une meilleure capacité de production dans ces pays, notamment en exploitant l’abondant potentiel solaire de la région.
  • Au Tchad, le Projet éducation des filles et d’alphabétisation des femmes (PEFAF) est un projet 100% genre qui cible le problème de l’éducation des filles au niveau secondaire, car c’est là qu’on a le plus grand taux de déperdition. C’est un problème d’envergure au Tchad, mais aussi dans les autres pays du Sahel.
Ecole à N’Djamena, Tchad. Photo: Aude Rossignol/Alliance Sahel.

Avez-vous remarqué des pratiques innovantes ou remarquables qui améliorent l’égalité femme-hommes et les droits des femmes et des filles dans les pays du Sahel?

Le Sahel regorge de pratiques innovantes et intéressantes car il y a une multiplicité d’acteurs!

La volonté de concertation au niveau régional, avec la création de la plateforme des femmes du Sahel, est une pratique innovante et intéressante. C’est très rare de voir des organismes dédiés exclusivement à la question de genre au niveau régional. Ce dispositif permet d’accélérer l’intégration du genre. La plateforme des femmes du G5 Sahel souffre malheureusement d’un déficit de financement pour véritablement mettre en œuvre ses actions. Elle s’est pourtant dotée d’un cadre stratégique et d’un plan d’action et bénéficie d’un pouvoir de mobilisation qui permet d’amener autour de la table les différentes parties prenantes nationales, notamment les Ministres Genre.

Au niveau opérationnel, on est en train de finaliser le profil genre régional du G5 Sahel, financé par la BAD, et on a rencontré la plateforme des femmes pour qu’elles partagent des pratiques innovatrices que les partenaires au développement pourraient émuler. Par exemple, elles nous ont parlé des plateformes multifonctionnelles au niveau des communautés, qui permet aux femmes de transformer leurs produits agricoles, ce qui améliore leur autonomisation économique et renforce leur résilience.

Ces dernières années, il y a eu beaucoup d’avancées dans le domaine de l’entrepreneuriat dans les pays du Sahel, ce qui témoigne de l’appétit des pays pour cette question. Le cadre stratégique s’affine, puis un dispositif institutionnel vient le traduire de manière concrète. Au Tchad, par exemple, la chambre nationale de l’entrepreneuriat féminin a été récemment créée. Les femmes font face à des barrières spécifiques dans leur cheminement entrepreneurial, donc avoir un dispositif qui vient se pencher sur ces questions et qui soit l’intermédiaire entre les femmes entrepreneures et la scène décisionnelle, c’est intéressant. C’est important pour l’Alliance Sahel d’accompagner ces efforts.

En matière de développement pour les populations du Sahel, quel est l’impact de l’intégration transversale du genre au sein des projets des partenaires au développement et des membres de l’Alliance Sahel en particulier?  

Il ne peut y avoir de développement sans égalité. L’inégalité de genre cause 0.3 milliards de perte aux pays africains, soit l’équivalent de 10% de leur PIB, en raison de l’inégalité d’accès aux opportunités économiques et sociales. Les femmes sont des agentes économiques importantes qui contribuent énormément à la résilience des ménages. Le fait qu’elles ne puissent pas participer pleinement au développement réduit le potentiel de croissance des états du Sahel.

L’impact de l’intégration du genre est catalytique à la fois au niveau qualitatif et quantitatif. Dans les pays du Sahel, la croissance des pays est très élevée (5.6% de croissance en moyenne en 2020), mais elle ne se traduit pas encore par une réduction des inégalités. Quand on intègre le genre dans les projets, on constate au niveau quantitatif que ça permet d’accélérer la croissance et, sur le plan qualitatif, que cette croissance s’accompagne d’une réduction des inégalités (de genre, sociales,…). Cela permet de renforcer la résilience économique et sociale des populations face aux différents chocs.

Dans les projets, on constate de plus en plus que le retour sur investissement dans les femmes est très élevé, car il y a un bénéfice direct intergénérationnel. C’est donc une stratégie qui permet d’avoir des résultats sur le long terme, notamment sur le développement humain à travers l’éducation des enfants, car une femme autonomisée va plus s’investir dans l’éducation de ses enfants. Sur le plan nutritionnel, les enfants vont avoir accès à une nourriture plus équilibrée, ils seront donc dans de meilleures conditions pour apprendre, constituant ainsi une main d’œuvre compétitive.

Au niveau de la BAD, par exemple, on vient de finir une mission de supervision du projet d’autonomisation économique des femmes vulnérables dans 3 pays (Mali, Niger, Tchad), dans les zones affectées par l’insécurité et les conflits. A Tombouctou (Mali), l’histoire d’une bénéficiaire du projet, veuve et mère de 6 enfants ayant bénéficié des services d’accès au capital et aux compétences, est parlante. En l’espace d’un an, elle a recommencé son commerce de beignets et obtenu des bénéfices importants qui lui ont permis de scolariser deux de ses six enfants dans une école privée, d’accéder à la propriété, d’assurer la sécurité sur le long terme de sa famille et d’élargir ses activités en achetant du matériel connexe. Cela a accentué sa résilience aux différents chocs. C’est donc une approche qui permet d’obtenir des bénéfices multidimensionnels, sur le long terme.

Références:


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