Résilience au Sahel : le rôle des universités pour renforcer la sécurité alimentaire et agricole
Initiative pionnière au Sahel, le Réseau des Universités du Sahel pour la Résilience (REUNIR) met en lumière l’impact de la collaboration entre le secteur académique et les organisations internationales, dans les efforts pour renforcer la résilience alimentaire et agricole. Dirigé par le Professeur Toguyeni, le réseau rassemble des universités de cinq pays du Sahel pour un partage d’expériences et une action coordonnée. Cette synergie entre l’expertise universitaire et les partenariats stratégiques, notamment avec le Programme Alimentaire Mondial (PAM), place la recherche et l’innovation au cœur de solutions durables pour les communautés.
Professeur Aboubacar Toguyeni est Directeur de l’école doctorale Sciences naturelles et Agronomie de l’Université Nazi Boni-Bobo-Dioulasso au Burkina Faso. Il est secrétaire exécutif du Réseau des Universités du Sahel pour la Résilience (REUNIR) qui réunit 7 universités de 5 pays (Burkina Faso, Mali, Niger, Sénégal et Tchad).
Dans cette interview, nous explorons les diverses facettes de cette collaboration, en passant par les défis de la dégradation des terres et la formation communautaire. Professeur Toguyeni souligne l’engagement commun vers l’autosuffisance alimentaire et une meilleure qualité de vie au Sahel.
Comment est né le Réseau des Universités du Sahel pour la Résilience ?
Pr. Toguyeni : Ce réseau est né d’un partenariat que les différentes universités avaient individuellement avec les bureaux pays du PAM sur les questions de résilience. Ces pays rencontrent les mêmes problématiques. Nous avons donc décidé de fédérer nos efforts pour un partage d’expérience et une meilleure construction de la résilience dans l’espace sahélien.
Quelle est la plus-value des universités et des chercheurs sur ces questions de résilience, en particulier de résilience alimentaire et agricole ?
Nos étudiants effectuent des stages sur le terrain pendant lesquels ils sont en contact avec les communautés. C’est une opportunité pour nous, chercheurs, de toucher du doigt la réalité dans ces communautés et de coconstruire avec eux la résilience et des programmes mieux adaptés au contexte réel des populations.
Quels sont selon vous les chantiers prioritaires pour soutenir les populations dans la voie de la résilience ?
Aujourd’hui, nous avons une baisse de production à tous les niveaux, ce qui entraîne un problème d’insécurité alimentaire et nutritionnelle. Il y a des travaux menés sur la fertilité des sols et sur l’amélioration des semences pour augmenter les rendements. Au Sahel, la dégradation des terres est un problème crucial. Cela engendre des conflits non seulement entre agriculteurs, mais aussi entre agriculteurs et éleveurs, parce que l’espace de production se réduit. Nos travaux ont permis d’avancer sur la question de la récupération des terres. C’est un élément extrêmement important, car cela permet d’augmenter la productivité de sols abandonnés en leur donnant une nouvelle vie et d’étendre la production pour les agriculteurs et pour les éleveurs. L’agriculture intelligente et la gestion de l’eau sont aussi extrêmement importantes pour améliorer la productivité. Cela fait partie des programmes de recherche sur lesquels nous travaillons.
Nous travaillons aussi sur la transformation des produits pour assurer la durabilité. En effet, certains produits ne sont disponibles qu’à une période de l’année. En les transformant, on peut étaler la disponibilité sur toute l’année, ce qui est extrêmement important. Par ailleurs, le bétail coûte cher et certaines familles ne peuvent plus accéder à la viande. Nous pouvons améliorer la disponibilité de poisson à travers une meilleure gestion et des systèmes innovants de production. Ce poisson peut être par exemple séché et conservé tel ou transformé en farine. La farine de poisson apporte les protéines animales dont la population a besoin.
Sur le terrain, on constate de grandes différences entre des familles qui ont le même niveau de revenus : chez certains les enfants sont malnutris, chez d’autres pas. Pourquoi ? Parce qu’une famille connaît les éléments de la nature qui permettent une alimentation équilibrée et l’autre ne les connait pas. Dans un même pays, il y a des localités où telle plante est utilisée dans l’alimentation, alors que dans une autre partie du pays, les gens ne savent même pas que cette plante peut être utilisée dans l’alimentation. Ce sont tous ces éléments qui peuvent aboutir à une sécurité alimentaire et nutritionnelle.
Dans le cadre des enquêtes de terrain, faites-vous face à des difficultés pour accéder à certaines régions ? Avez-vous mis en place des alternatives pour pouvoir malgré tout prendre l’avis de ces populations ?
Nous essayons d’envoyer nos étudiants au plus près des populations qui sont parfois déplacées ou qui vivent dans des zones difficiles. Ce n’est pas pour autant qu’il faut les abandonner. La sécurité de nos étudiants nous incombe, donc on évalue les risques, tout en essayant de continuer à travailler avec les populations. Nous avons des relais de structures techniques ou du PAM qui sont sur place et avec lesquelles nous travaillons pour récolter certains types d’informations. C’est vraiment important de continuer à échanger avec ces communautés-là, il faut que nous soyons au plus près et nos étudiants vont dans ce sens-là.
Comment jugez-vous la pertinence de cette collaboration entre votre réseau universitaire et une organisation comme le PAM ?
C’est une collaboration gagnant-gagnant. Par le passé, tout le monde voyait le PAM comme le sapeur-pompier : il distribuait des aliments aux gens qui avaient faim, puis disparaissait.
Aujourd’hui, il y a un changement : le PAM s’investit avec les universités pour accroître la résilience des populations, par exemple, dans le cas de la récupération de terres, à travers des subventions données à des étudiants pour mener des travaux sur le terrain.
Nous formons aussi nos étudiants aux outils utilisés par le PAM : nous avons intégré par exemple les outils 3PA dans nos curricula de formation, ce qui fait que nos étudiants sont donc directement opérationnels quand ils vont sur le terrain. Cela permet d’améliorer la qualité du travail et d’assurer la continuité des activités.
Du côté du PAM, notre collaboration permet d’améliorer leurs actions sur le terrain. Par exemple, nous collaborons avec eux sur le monitoring des activités réalisées qu’ils font sur le terrain afin de montrer concrètement ce qui a été fait et toute la portée de leurs interventions auprès des communautés.
Concernant la récupération des terres, quelles sont les pratiques qui vous ont le plus convaincu ?
Différentes techniques y ont été utilisées pour récupérer les terres érodées, comme des demi-lunes et zaï (technique de semis). Ces techniques utilisées ensemble et à grande échelle contribuent au succès de la récupération de terres. Avec une délégation de pays d’Afrique de l’Est, nous avons visité des terres récupérées à Dosso, au sud-ouest du Niger dans le cadre du partenariat entre le PAM et les universités du Niger. Les membres de la délégation ont constaté avec beaucoup de satisfaction que la récupération des terres dégradées est réalisable et sont repartis avec la dynamique de développer la même chose chez eux.
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