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Burkina Faso: Rencontre avec Mariam Ouedraogo, journaliste lauréate du Prix Bayeux 2022

Journaliste au quotidien public Burkinabè Sidwaya depuis 2013, Mariam Ouedraogo a obtenu le prix Bayeux 2022, catégorie presse écrite, pour son ensemble de reportages « Axe Dablo-Kaya: la route de l’enfer des femmes déplacées internes », relatant les troubles subis par les déplacées du Nord Est du Burkina Faso. Dans cette interview accordée à Armel Hien, expert de l’Alliance Sahel au Burkina Faso, elle partage sa passion du journalisme et son engagement auprès des femmes victimes de la crise.

Portrait de Mariam Ouedraogo, sous l’objectif d’Armel Hien

Pourquoi vous êtes-vous engagée sur la voie du journalisme? Quelle est la place des femmes dans ce métier au Burkina Faso?

J’adore ce métier et je m’y suis intéressée très tôt. Avant même d’avoir mon bac au lycée Yadéga de Ouahigouya j’animais deux émissions à la radio « Voix du paysan ». En 2011 que j’ai passé et réussi le concours d’entrée en journalisme de l’ISTIC (Institut des Sciences et Techniques de l’Information et de la Communication). J’y ai étudié deux ans, en poursuivant les stages au journal Sidwaya. Quand je suis sortie de mes études, j’ai été affectée comme journaliste dans ce média.

J’écris pour un média, mais au fond, je le fais d’abord pour moi-même! Lorsque je travaille un sujet, j’en fais mon affaire personnelle jusqu’à ce que l’on publie l’article. J’arrive toujours à surpasser les obstacles du métier, comme le manque de temps pour produire les sujets.

Être une femme journaliste est un atout pour le métier car nous sommes plus sensibles à certains sujets. La plupart de mes articles sont orientés sur les réalités des femmes, des enfants, des handicapés,… Le fait d’échanger de femme à femme facilite les entretiens, notamment lorsque l’on aborde des questions comme celle du viol… Nous, les femmes journalistes, nous pouvons davantage comprendre, compatir, consoler… En tant que femme journaliste nous sommes exposées aux critiques aussi. Les gens se demandent « est-ce qu’elle sera à la hauteur, est-ce qu’elle pourra faire ce travail ? ». Mais quand je pars sur le terrain pour réaliser des reportages, ce n’est pas pour me vanter, mais il est difficile pour les hommes de produire la même qualité de travail!

Quels sont vos objectifs en tant que journaliste au Burkina Faso aujourd’hui?

Mon objectif est de continuer de produire sur un certain nombre de problématiques. L’article qui a eu le prix Bayeux fait partie d’une suite de sujets que j’avais commencé en 2020 en rédigeant sur la prostitution des femmes déplacées internes. Par la suite, j’ai produit un autre article intitulé « Exaction des groupes armés terroristes : les individus armés non identifiés violent les femmes à mort ». Dans cet article j’annonçais déjà qu’il y avait des grossesses. Je suis repartie pour voir ce que sont devenues ces mamans et ces bébés… Celles qui ont décidé d’avorter, que sont-elles devenues ? Et celles qui ont été répudiées, ont-elles pu réintégrer leurs familles ou est-ce qu’elles sont toujours en marge de leur communauté ? Je compte poursuivre ma série d’articles pour voir ce que sont devenus ces enfants. Ont-ils bénéficié d’un dispositif d’accueil ? Qu’est-ce qui est fait concrètement pour venir en aide à ces rescapés de l’enfer terroriste ?

Extrait des illustrations des articles de Mariam Ouedraogo, parues dans le quotidien Sidwaya

Comment s’est déroulé votre travail sur le terrain pour la série qui vous a valu le prix Bayeux?

Cette série d’articles, je l’ai commencée en décembre 2021. Je suis repartie à trois reprises à Kaya jusqu’en mars 2022, et j’y ai fait des séjours de 8 à 9 jours. J’avais déjà des contacts sur place, ce qui m’a facilité le travail sur terrain. Quand on travaille sur des sujets comme ceux-là, on ne peut pas fermer les yeux sur la misère rencontrée. Traiter des sujets avec des personnes en détresse demande beaucoup personnellement, cela a un certain coût et cela est épuisant. J’ai une santé fragile, je m’octroie une pause actuellement afin de reprendre de l’énergie pour poursuivre mon travail.

Qu’est-ce que le Prix Bayeux et les reportages à l’origine de ce prix ont changé dans votre travail?

Avant le prix Bayeux, j’avais déjà eu 12 prix mais aucun média ne m’avait accordé un entretien! Le prix Bayeux m’a révélée au monde entier, les encouragements me motivent à aller de l’avant. Les premiers articles que j’ai eu à traiter sur la prostitution ont été très exigeants. J’ai même fait le trottoir pour comprendre la réalité de ces femmes (mais je ne suis pas allée jusqu’au bout !) et cela m’a beaucoup affectée, cela m’a rendue malade. Les médecins m’ont diagnostiqué un traumatisme vicariant, qui est un transfert de la souffrance des victimes. Je vis la même chose qu’elles sans être directement touchée. C’est un choc terrible, je n’ai pas su prendre du recul, peut-être parce que je suis une femme… Je me suis imaginée à leur place et j’ai dû arrêter de travailler presque un an. En 2021 je n’ai pas produit d’article sur recommandation du médecin je suis allée en Côte d’Ivoire pour des soins, car mon mal-être s’était transformé en asthme. Depuis je vis en sursis, cela veut dire que d’un moment à l’autre lors des reportages, je peux déclencher des crises. Quand je suis rentrée de la Côte d’Ivoire, en novembre 2021, j’ai quand même décidé de repartir sur le terrain et de publier les articles qui ont été couronnés du Prix Bayeux. Vu les encouragements je me dis que ce n’est pas le moment d’arrêter.

Mariam Ouedraogo, portrait

Quelle est votre perception de la crise traversée par le Burkina Faso?

C’est triste pour un pays d’être attaqué de toutes parts, et le plus souvent par ses propres populations. Il y a des morts, des déplacés, des familles qui se déchirent, cela a bouleversé l’ordre. On ne vit plus, on est en guerre. Je me suis centrée pour mes reportages sur la région du Centre Nord. J’aurais aimé toucher d’autres régions comme la région de l’Est (Fada) mais l’accessibilité pose problème. Il est plus facile de se rendre à Kaya discrètement que de venir à Fada. Et l’état de la route est difficile. Mais ce sont les mêmes réalités partout, il y a six régions touchées par une certaine sévérité de la crise, des régions qui connaissent les mêmes attaques avec la même intensité: ce sont des déplacements de populations suivis de séquestrations et de viols et d’enlèvements. Donc ce sont les mêmes conséquences infligées par les terroristes : on tue les hommes, on viole les femmes. Si on te viole, et que l’on te laisse avec un enfant issu du viol, tu ne vis plus car tu évolues en marge de la société…

Quel message souhaitez-vous adresser au monde et à la communauté internationale en particulier?

Quand il y a des attaques, il y a des pays et des structures qui condamnent. Nous demandons à la communauté internationale de soutenir le Burkina Faso au-delà des condamnations car progressivement les violences risquent d’embraser la sous-région. Une réelle solidarité est nécessaire. Nous partageons des frontières, des cultures, ce sont les mêmes communautés donc il ne faut pas mener la lutte de façon isolée. Pour ce qui est de la communauté internationale, il est nécessaire d’apporter une aide conséquente. Les conflits affaiblissent les états mais au-delà de l‘appareil étatique, il y a des populations qui souffrent, il y a des morts, alors que notre pays a besoin de tous ses fils et de toutes ses filles pour se développer…

Un proverbe au Burkina dit que si la case du voisin brûle, il faut aller l’aider car le feu peut aussi prendre chez toi. Etant de l’extérieur, les pays et institutions peuvent percevoir nos failles, en termes de stratégies militaires et surtout en termes de prise en charge. Je vois sur le terrain tellement d’ONG et d’acteurs qui interviennent dans le domaine des Violences Basées sur le Genre (VBG). Mais j’ai l’impression qu’il n’y a pas de synergie d’actions, chaque structure travaille de son côté… et par conséquent le soutien n’est pas efficace. J’ai échangé avec beaucoup de femmes déplacées internes violées qui n’ont jamais reçu d’aide. Certaines ont même été obligées de se prostituer pour survivre alors qu’il y a des fonds qui circulent et qui sont alloués à des structures censées leur venir en aide… Et puis il faut aussi aller au-delà des dons de vivres et de vêtements car ces personnes-là sont impactées à vie. Elles ont besoin d’une prise en charge psychologique car beaucoup ont des pensées suicidaires. Par ailleurs, beaucoup d’enfants issus de viols n’ont pas encore d’acte de naissance, comment ces enfants vont grandir sans documents ?

Quelles sont selon vous les actions prioritaires qui devraient être menées à l’attention des populations?

L’idéal est de travailler à les ramener chez elles. Mais pour l’instant comme les zones sont toujours sous contrôle des terroristes, c’est difficile. L’aide doit vraiment être conséquente. La mise en place d’un volet réinsertion avec des micro-projets et des Activités Génératrices de Revenus (AGR) est nécessaire, ainsi qu’un appui psychologique et un soutien pour les enfants. Beaucoup d’enfants, dont des orphelins, ne vont plus à l’école. On constate également la reprise des mariages d’enfants, les gens sont tellement dépassés que certains se débarrassent des filles en les donnant en mariage forcé…

Un autre enjeu de taille : Mettre l’accent sur la prévention de la transmission des Maladies Sexuellement Transmissibles (MST), un phénomène qui va exploser avec ce que j’ai vu à Kaya. La prostitution se fait sans protection. L’étude d’un projet a démontré qu’il y avait déjà beaucoup de cas de nouvelles infections de VIH dans plusieurs zones où il y a des déplacés internes. Donc imaginez dans deux, trois, quatre, cinq ans, les données sur le VIH, la tuberculose, les Maladies Sexuellement Transmissibles (MST) vont augmenter fortement…. Tant au niveau des populations déplacées que des populations hôtes… On peut déjà anticiper à ce niveau. Il faut revoir la sensibilisation, organiser des dépistages, et mettre l’accent sur l’identification des cas de MST. Au niveau de l’action sociale ou des structures sanitaires, on pourrait mettre en place un registre spécifique (au niveau des hôpitaux ou de l’action sociale) des femmes victimes de Violences Basées sur le Genre (VBG) pour ne pas perdre de vue ces victimes et que les professionnels puissent les accompagner au mieux, sans oublier personne.

Retrouvez la série de reportages de Mariam Ouedraogo « Axe Dablo-Kaya: la route de l’enfer des femmes déplacées internes » parue dans le quotidien Sidwaya.

En savoir plus sur le Prix Bayeux

Depuis 1994, la ville de Bayeux, associée au Département du Calvados et à la Région Normandie, organise ce prix destiné à rendre hommage aux journalistes qui exercent leur métier dans des conditions périlleuses pour nous permettre d’accéder à une information libre. Cet événement lié aux médias français et étrangers, s’attache à offrir, le temps d’une semaine, une fenêtre ouverte sur l’actualité internationale via des expositions, des soirées thématiques, des projections, un salon du livre, un forum média, des rencontres avec les scolaires,… et bien-sûr une soirée de clôture qui récompense les lauréats des différentes catégories de reportages (photographie, télévision, radio, presse écrite…).

Partenaire du Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre pour la 9ème année consécutive, l’AFD parraine le prix du public. Une table ronde a été organisée lors de l’édition 2022 autour des conséquences humanitaires et géopolitiques de la guerre en Ukraine sur l’Afrique. Jean-Bertrand Mothes, responsable de la division Fragilités, Crises & Conflits de l’AFD, a échangé avec Dr. Comfort ERO, présidente d’International Crisis Group, Frédéric Joli, porte-parole France du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) et Ksenia Bolchakova, réalisatrice. Depuis 5 ans, 863 millions d’euros ont été engagés par le Fonds Minka (AFD), dont la moitié est dédiée au Sahel. Dans cette mission, la situation des femmes et des filles est une priorité: 90 % des financements engagés par le Fonds y sont consacrés, soit plus d’un demi-milliard d’euros. Ces résultats font de Minka un fonds pionnier pour la mise en œuvre du plan d’action français « Femmes, Paix & Sécurité » 2021-2025.

Site Internet du Prix Bayeux

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