Crise alimentaire au Sahel: agir sur les causes structurelles et mieux articuler les interventions humanitaires – développement
La problématique de la sécurité alimentaire était au cœur de la réunion du 9ème Comité de pilotage (CPO) de l’Alliance Sahel, qui s’est tenue à Bonn le 24 juin. Le panel de discussions organisé à cette occasion sur les causes structurelles des crises alimentaires dans les pays du G5 a été dédiée à l’analyse de la crise et des solutions qui doivent s’imposer rapidement. Plusieurs experts ont partagé leurs constats et leurs conseils.
La région du G5 Sahel connaît une forte augmentation du nombre de personnes en insécurité alimentaire. Plus de 6 millions d’enfants de moins de 5 ans sont considérés comme malnutris. Les raisons de cette dégradation sont multiples mais pour Ollo Sib, Conseiller régional au Programme Alimentaire mondial (PAM), cette question ne peut pas être évoquée sans mentionner les changements climatiques et la maitrise de l’eau. Par ailleurs, la crise globale en Ukraine continue de fragiliser le système alimentaire de la région qui dépend fortement des importations, en particulier en 2022. L’accès difficile aux intrants agricoles, notamment aux fertilisants, menace davantage les productions. Cette année, seuls 46% des besoins en engrais ont pu être satisfaits dans la région. Le PAM s’attend à une baisse de production en 2022 de 10 à 20 millions de tonnes, une situation encore aggravée par rapport à 2021, qui était déjà une mauvaise année (la production avait déjà baissé de 11% du fait des conflits et des déplacements de populations, les groupes armés contrôlant les principaux marchés et routes d’approvisionnement de la région).
Au-delà des questions alimentaires, d’autres défis sociaux impactent le Sahel: plus de 2.000 écoles dans la région sont fermées et des millions d’enfants sont privés d’enseignement. On observe, génération après génération, un maintien de la vulnérabilité puisque les fondamentaux ne sont pas garantis : accès à l’éducation, aux services sociaux de base, à l’eau et à la santé…
Pour clôturer son intervention, M. Sib a invité les personnes présentes à réfléchir à l’opérationnalisation du nexus humanitaire et développement. Les problématiques se chevauchant au Sahel, il est en effet important de pouvoir les traiter de front. Les discussions sur le nexus doivent amener à travailler sur les complémentarités, renforcer la cohésion sociale et la résilience, afin d’assurer des résultats en matière de paix et de protection de l’espace humanitaire.
Ollo Sib a proposé plusieurs pistes de solution :
- Le renforcement des programmes intégrés autour de la résilience de la population. Les systèmes doivent être renforcés pour développer la protection sociale et promouvoir une plus grande coordination entre les acteurs.
- Une feuille de route régionale construite par un leadership fort de la région avec l’appui des partenaires extérieurs. Il s’agit de promouvoir le dialogue autour d’une meilleure connaissance des causes structurelles de l’insécurité alimentaire et identifier les mesures d’adaptation communes qui peuvent être prises.
- Des financements plus flexibles, qui permettent de passer de l’urgence au développement et vice versa. Penser à la prévention même dans les zones qui ne sont pas encore fortement touchées par l’insécurité alimentaire.
Niger: Intervention de Aboubacar Djimraou, Conseiller du Ministre et Haut-Commissaire à l’Initiative 3N « Les Nigériens Nourrissent les Nigériens »
La question de la sécurité alimentaire est au cœur des préoccupations du Niger. L’initiative 3N intègre l’ensemble des éléments de la politique agricole du Niger. Ce cadre a le souci de réduire la dispersion des efforts et des ressources dans le secteur de la sécurité alimentaire nutritionnelle et du développement agricole durable, et essaie d’accroître les effets de synergie et de complémentarité en mettant ensemble l’agriculture, l’élevage, l’environnement, la nutrition et certains aspects de transformation en lien avec les industries et le commerce.
Après dix années de mise en œuvre, des progrès importants ont été constatées au niveau macroéconomique. Le PIB agricole a connu un accroissement de 86% et la pauvreté rurale s’est réduite de près de 10%. Cela s’explique par des investissements importants qui ont permis de voir le nombre de superficies irriguées augmentées de 119,34% en 2020 et de multiplier par 6 la production irriguée. Dans le cadre de la gestion durable des terres, 65.000 ha de dune ont été traités, 433.000 ha de terres dégradées ont été récupérés en dix ans, et 489.000 nouveaux ha ont été passé en Région Naturelle Assistée (RNA).
Cependant les défis restent énormes. L’aggravation de la situation climatique est particulièrement alarmante. Les projections du Cadre Harmonisé sont inquiétantes, lors de la prochaine période de soudure, la majeure partie du territoire sahélien sera en stade 3, c’est-à-dire dans un état de crise. Depuis 2018, le Niger a mis en place un Comité de Haut Niveau, présidé par le Premier Ministre ainsi qu’un Comité technique tripartite en charge d’opérationnaliser l’approche du Nexus dans les différentes régions du Niger.
Les régions prioritaires sont les zones fragiles de Diffa, Tillabéry et le sud de Maradi, sur lesquelles le Haut-Commissariat est en train de travailler pour mettre en œuvre le nouveau plan d’action de l’I3N 2021-2025 qui s’intègre dans le nouveau plan de développement économique et social 2022-2026 du Niger. Ce nouveau plan d’action a un coût d’environ 2.000 milliards de FCFA, soit environ 3 milliards d’euros.
Dimension sociale de la crise alimentaire et conséquences en termes de programmes adaptatifs de protection sociale
M. Bodewig, Économiste principal, Protection sociale et emploi au département Afrique de la Banque Mondiale, a centré son intervention sur l’impact de la crise alimentaire sur les ménages. Il a également abordé la protection sociale comme outil de protection et de renforcement de la résilience.
L’insécurité alimentaire est le résultat de chocs multiples qui se conjuguent et ont des effets à long terme sur le capital humain et la pauvreté : les effets de la pandémie du COVID-19, le changement climatique, les conflits, les déplacements de population… La protection sociale adaptative peut renforcer la résilience aux chocs des ménages pauvres, à travers des transferts d’argent et des mesures visant à aider les ménages à diversifier leurs moyens de subsistance. M. Bodewig a également souligné que les pays du Sahel ont réalisé beaucoup de progrès dans le développement des systèmes de protection sociale adaptative. Il a mentionné le programme d’adaptation sociale du Sahel, un fonds fiduciaire financé notamment par l’Allemagne, la France, le Danemark, le Royaume-Uni, la Banque mondiale et qui a permis de mettre en place des programmes de transfert d’argent et à accroitre leur portée. En 2021, lors de la pandémie de la COVID-19, ces programmes ont touché près de 1,3 millions de ménages. Ils sont en ce moment même utilisés pour lutter contre l’insécurité alimentaire, notamment pendant la période de soudure.
Enfin, pour M. Bodewig, le Sahel est à un tournant. Il est maintenant prouvé que les systèmes de protection sociale adaptative fonctionnent, il est temps maintenant de passer d’une approche projet à la construction d’un véritable système national piloté par le gouvernement.
Recommandations du groupe de coordination « Agriculture, développement rural et sécurité alimentaire » de l’Alliance Sahel
Le Dr Robert Guantoueu Guei, Coordonnateur sous-régional de la FAO pour l’Afrique de l’Ouest, a rappelé qu’entre 60% et 80% de la population au Sahel dépend des activités agro-sylvo-pastorales et halieutiques. Ces personnes sont victimes tous les jours de conflits, de guerres, de déplacements, mais souffrent également du changement climatique. La crise ukrainienne vient rappeler que les systèmes alimentaires des pays sahéliens sont vulnérables.
Le Dr Guei a lors de son intervention présenté les recommandations du groupe de coordination « Agriculture, développement rural et sécurité alimentaire » de l’Alliance Sahel :
- Appuyer les pays du G5 dans les interventions d’anticipation et de préparation aux urgences, tels que les systèmes de prévision des crises ;
- Renforcer les réformes sectorielles s’attaquant aux causes structurelles de la crise alimentaire, en tenant compte de certains problèmes fondamentaux, l’accès des jeunes et des femmes au foncier, renforcer le commerce régional, ou les mécanismes de résolution des conflits, etc.) ;
- Renforcer la résilience des populations les plus vulnérables aux changements climatiques par le biais de d’initiatives et approches déjà existantes, telles que la restauration des agroécosystèmes, les initiatives des villes vertes, les pratiques agricoles durable et « climate-smart », la digitalisation de l’agriculture, le financement du risque climatique, ou encore la gestion de l’eau ;
- Soutenir les mécanismes de solidarité régionale tels que ceux mis en place par le G5, la CEDEAO et le CILSS ;
- Opérationnaliser et renforcer le nexus humanitaire-développement-paix, en particulier dans les zones de conflits, tel que promu dans les conclusions de la réunion restreinte du RCPA du 6 avril 2022 ;
- Encourager l’accroissement des co-financements dans le secteur alimentaire et agricole, car ils permettent d’harmoniser les approches des partenaires techniques et financiers et l’échange d’expertise, en se servant de la plateforme que constitue l’Alliance Sahel.
Cette session a notamment permis de valider les recommandations portées par le groupe de coordination de l’Alliance Sahel dédié à l’agriculture, au développement rural et la sécurité alimentaire.
Crédits photos: Alliance Sahel/2022/Aude Rossignol
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