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Contribuer à l’effectivité des droits des femmes

Les femmes burkinabè rencontrent des barrières dans la réalisation et le respect de leurs droits. Pour les aider, un groupe de femmes juristes s’est uni au sein de l’Association des Femmes Juristes du Burkina Faso. Sa coordinatrice des programmes, Mme Christiane Zaï/Nikiema, nous éclaire sur les entraves aux droits des femmes et met en lumière les changements possibles.

Christiane Zaï/Nikiema, Coordinatrice des programmes, Association des Femmes Juristes du Burkina Faso.

Présentez-nous en quelques mots l’Association des Femmes Juristes du Burkina Faso (AFJ/BF). Pourquoi l’association a-t-elle été créée ?

L’Association des Femmes Juristes du Burkina Faso a été créée en 1993 et a été reconnue officiellement en 1994. C’est une association de femmes juristes qui se sont rendues compte que les femmes au Burkina Faso avaient des difficultés d’accès à la justice. Elles ont créé cette association afin de venir en aide à leurs sœurs burkinabè.

Actuellement, l’association compte plus de 260 membres : des femmes juristes et des jeunes filles qui ont au moins leur licence en droit.

L’association est organisée selon 4 axes : formation, assistance juridique, sensibilisation, plaidoyer. C’est une association qui travaille pour la promotion, la défense et la protection des droits des femmes et des filles au Burkina Faso. Sa vision, c’est de contribuer à l’effectivité des droits des femmes et des filles au Burkina.

Quelles sont les barrières qui empêchent les femmes d’exercer pleinement leurs droits au Burkina ?

Les barrières sont nombreuses.

Il y a les difficultés liées à l’ignorance des droits et à la peur d’aller en justice. Les femmes se demandent : est-ce que je pourrai m’exprimer et me faire entendre pour pouvoir défendre mes droits ?

D’autres barrières liées aux pesanteurs socioculturelles et aux coutumes font que les femmes n’ont pas vraiment accès à leurs droits. Par exemple, une femme qui veut demander le divorce ou faire une recherche de paternité rencontre des barrières car dans nos coutumes, la femme doit être soumise. Le système patriarcal amène les femmes à rencontrer des difficultés pour jouir pleinement de leurs droits, pour s’exprimer. Face à un problème, on dit généralement que c’est à l’homme de parler. La femme, elle ne fait qu’écouter.

Le regard de la société est aussi un frein. Une femme qui veut divorcer ou qui veut faire de la politique, sera-t-elle bien vue ? Les femmes leadeurs au niveau politique sont parfois considérées comme des femmes insoumises.

Il y a aussi les barrières liées à la charge de travail et à la rémunération des femmes. Au Burkina Faso, il y a beaucoup de responsabilités qui reviennent aux femmes. Elle doit tomber enceinte, ensuite s’occuper de l’éducation des enfants. L’homme est beaucoup plus libre. La charge de travail ne permet pas à la femme de s’impliquer vraiment dans la vie politique ou même de jouir de ses droits. Par ailleurs une femme qui veut aller en justice, si elle n’a pas les moyens de prendre un avocat pour sa défense, perdra son procès. Elle doit aussi prendre en charge ses frais de déplacement, car la justice n’est pas toujours proche du justiciable.

Il y a aussi le manque de volonté politique. La majorité de ceux qui sont sur le devant de la scène politique sont des hommes, et ils ne sont pas prêts – ils le disent souvent – à céder le pouvoir.

Les barrières s’érigent aussi sur un déficit de confiance : on pense qu’en tant que femmes, elles ne peuvent pas gérer le pays et participer de manière significative au développement. Elles sont ainsi exclues du système. Et elles manquent de confiance en elles car on ne les a pas préparées à occuper la scène, et cela freine leur engagement.

Au niveau politique, quelle est la part d’élues féminines au niveau local et national ?

Actuellement, au niveau de l’Assemblée Législative de Transition, nous avons 14 femmes sur 71 personnes, soit une part de 19,7 %, et au niveau du gouvernement, nous avons 5 femmes sur 23 personnes, soit 21,7 %. Depuis 2016, à la sortie des dernières élections municipales au Burkina Faso, les chiffres étaient en baisses par rapport aux élections précédentes. Aujourd’hui, les femmes sont toujours sous-représentées au niveau des délégations spéciales sur toute l’étendue du territoire.

La loi quota-genre de 2009 a montré ses limites et la loi révisée de 2020 n’a pas permis de faciliter la participation des femmes au nouveau politique. Cette loi contient ce qu’on appelle ici des « sanctions bonus » parce que et si vous ne respectez pas la loi, vous n’avez pas de sanctions. Les partis politiques ne se sont donc pas sentis obligés de présenter des femmes aux élections. Cette loi ne nous donne donc pas satisfaction et nous pensons qu’il faut travailler à l’améliorer.

Comment l’Association des Femmes Juristes accompagne-t-elle les femmes pour faciliter leur participation à la vie politique ?

L’Association des Femmes Juristes du Burkina est apolitique, mais elle intervient au niveau de l’éducation politique. Elle organise des formations au profit des femmes, que ce soient des femmes dans les partis politiques ou des femmes de la société civile, sur les thèmes du leadership féminin, de la communication et des droits politiques.

Nous faisons aussi des sensibilisations auprès de la population pour montrer l’importance de la politique pour tout le monde, l’importance de l’enrôlement, et pour que les hommes encouragent leurs sœurs, leurs femmes à s’impliquer en politique pour participer au développement.

Nous faisons aussi des plaidoyers. Nous sommes parties prenantes des plaidoyers de la loi quota genre, pour que ces textes soient favorables aux femmes et qu’elles puissent vraiment s’engager.

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Est-ce que les femmes sont autant représentées que les hommes dans les facultés de droit au Burkina ? Et, qu’en est-il de la représentation des femmes au sein des professions juridiques ?

Je n’ai pas les chiffres exacts au niveau des inscriptions, mais quand j’étais en faculté de droit, il y avait pas mal de filles, tout comme dans la santé ou certaines autres filières. Je ne pense donc pas que la formation représente un blocage pour la jouissance et l’épanouissement des droits des femmes.

Mais l’éducation des jeunes filles n’est pas aussi aisée que celle des hommes parce que la jeune fille rencontre plusieurs obstacles qui peuvent l’impacter et l’empêcher d’aller jusqu’au bout : les problèmes de règles (menstrues), les grossesses, les enfants à éduquer. Les cursus sont longs : actuellement au niveau du Burkina Faso on peut rester pendant deux ans en première année. Des femmes se marient quand elles sont toujours sur les bancs, à l’université ou même au lycée. Elles se retrouvent avec des grossesses qui peuvent vraiment impacter leur parcours.

Quelles sont les actions menées par l’Association des Femmes Juristes du Burkina qui ont vraiment permis aux femmes de jouir de leurs droits ?

Sur le terrain, nous constatons des changements et des évolutions. Notre association et d’autres structures forment les acteurs judiciaires sur les textes juridiques qui existent et qui sont favorables aux femmes.

Il y a aussi des formations des acteurs extra-judiciaires (les services de l’action sociale, les agents de santé, les enseignants, etc.) sur les droits des femmes de manière générale et sur les violences basées sur le genre, pour les amener à être des acteurs de référencement puisque ce sont vers eux que les femmes se tournent quand elles sont victimes de violence. Dès que ces acteurs-là sont formés et sensibilisés, ils deviennent des alliés et ils accompagnent plus aisément les femmes.

Nous avons aussi mis en place des cliniques juridiques au niveau de l’Association des Femmes Juristes. Nous en avons quatre actuellement, dont deux à Ouagadougou, où nous prenons en charge les femmes victimes de violences. Elles y bénéficient de l’assistance juridique, judiciaire et psychologique. Dans la clinique juridique située au niveau de notre siège à Ouagadougou, nous avons reçu près de 500 femmes en 2022.

En tant que femme juriste, sur quelles thématiques êtes-vous le plus sollicitée par les femmes burkinabè ?

Les femmes nous sollicitent pour qu’on les sensibilise sur leurs droits. Ces sensibilisations sont des moments où les femmes se retrouvent entre elles et échangent sur leurs problèmes quotidiens. Elles profitent de ces moments pour poser des questions, partager leurs difficultés et avoir des solutions sur le champ. Ces sensibilisations permettent aux femmes de s’ouvrir et de pouvoir accéder à la justice en cas de besoin.

Nous sommes aussi sollicitées à propos des violences basées sur le genre. Vous avez été éduquée d’une certaine manière pendant des années, vous avez accepté certaines pratiques « normales » et grâce à des sensibilisations, vous vous rendez compte que telles actions étaient en fait des actes de violence. Elles arrivent donc à savoir ce qu’est la violence et à connaître les structures vers lesquelles elles peuvent se tourner pour avoir la solution à leur problème.

Quels sont les principaux axes de plaidoyer de l’Association des Femmes Juristes du Burkina Faso pour les droits des femmes au Burkina ?

Aujourd’hui, nous faisons un plaidoyer pour obtenir le décret d’application de la loi 061 sur la prévention, répression et réparation des violences faites aux femmes. La loi existe depuis 2015, mais elle n’a pas de décret d’application. Si cette loi est mise en application, elle va vraiment aider les femmes.

Il y a aussi la loi quota genre qu’il faut réviser parce qu’elle n’est pas assez contraignante.  Parfois, les hommes disent : « nous n’allons pas laisser la place aux femmes », mais le débat peut être faussé entre l’homme et la femme. Grâce à ces textes-là, la femme pourra être au même niveau que l’homme pour participer. Cela ne sert à rien que les femmes soient nombreuses et que ce soient des hommes qui décident à leur place. Les femmes capables, intelligentes, sont des ressources que nous perdons parce qu’elles ne s’expriment pas.

Il y a aussi la loi sur la santé de la reproduction, la loi 049, qui n’a pas non plus de décret d’application.

La révision du code des personnes et de la famille est en cours actuellement. Il y a eu des ateliers, mais ce n’est pas encore sur la table de l’Assemblée Nationale pour adoption.

Quel message voulez-vous faire passer aux femmes du Burkina?

Si nous voulons avancer, il faut que nous utilisions la voie de l’éducation de nos enfants pour atteindre nos objectifs. Si aujourd’hui, il est difficile pour les femmes de participer, d’accéder à leurs droits, on peut le faire en commençant avec nos enfants.

Généralement, on dit que les femmes ne sont pas instruites. Mais on n’a pas besoin d’aller à l’école pour dire ce qu’on pense ou ce dont on a besoin. On peut le dire dans sa langue. Il faut mettre en place ce dialogue permettant à la femme de s’exprimer, de dire ce qu’elle pense, de la manière qui est la plus aisée pour elle. Souvent, on a l’impression que les débats politiques ont lieu entre intellectuels. Je pense que pour la participation au développement, on n’a pas besoin de parler le français. On a juste besoin de se faire comprendre et c’est important de permettre aux femmes de s’exprimer. Si on veut qu’elles arrivent à un certain niveau, il faut qu’elles soient formées à la vie politique pour vraiment bien s’engager.


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