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Formation technique et professionnelle des jeunes à Tillabéri: perspectives et partage d’expériences

Au Niger, le secteur de la formation et le marché du travail font face à de nombreux défis. Le secteur public n’est pas en mesure d’absorber à lui seul le nombre croissant de jeunes demandeurs d’emploi – 70% de la population nigérienne a moins de 25 ans. Le secteur privé, bien que porteur d’opportunités, n’offre pour le moment qu’un nombre limité de postes, souvent concentrées dans l’informel. Le marché de travail formel n’emploie que 7% de la population active. Pourtant, les métiers techniques et les filières professionnelles peuvent apporter des réponses concrètes à l’autonomisation des jeunes et à leur mise en perspective dans la vie active. Témoignages et réflexions d’acteurs du secteur de la formation dans la région de Tillabéri.

Reportage au centre de formation à Tillabéri

Témoignage de Salou Adamou, Directeur Régional de l’Enseignement Technique et de la Formation Professionnelle de Tillabéri

Je suis électricien de formation, j’ai toujours exercé ce métier et j’ai enseigné l’électricité de nombreuses années. Je suis actuellement en charge de la coordination entre les différents centres de formation de la région qui compte 13 départements qui ont tous des centres de formations professionnels.

Tous les métiers techniques et manuels sont pourvoyeurs d’emplois, l’essentiel est de maintenir le cap et d’avancer. La formation professionnelle et technique peut être d’un apport considérable pour le développement du pays. Mais ce secteur au Niger fait face à plusieurs défis, dont le besoin de moyens matériels et humains conséquents. Surtout avec l’accroissement de la population, les capacités des structures et les ressources humaines doivent suivre pour que les enfants soient bien formés et compétitifs sur le marché du travail.

Tous les métiers se valent. Chaque jeune peut choisir un métier et évoluer en fonction des opportunités qu’il a autour de lui. Par exemple, pour un élève qui a un parent possédant un atelier de construction métallique, il lui serait beaucoup plus favorable de se former en soudure pour apprendre dans l’entreprise familiale et pour créer par la suite son propre atelier. En agropastoralisme, il faut aussi saisir les opportunités: Tillabéri est la région du fleuve, il y a de nombreuses rizières, l’agriculture et l’élevage sont des créneaux porteurs.

Reportage au Centre de Formation aux Métiers de Tera (soutenu par le PNUD).

Dans certaines zones, l’insécurité pèse sur la formation des jeunes. Tillabéri compte 43 communes. Aujourd’hui (juin 2022), nous avons trois CFM (Centres de Formations aux Métiers) sur quarante qui sont fermés à cause de l’insécurité. L’alternative pour les apprenants de ces centres est d’aller étudier dans d’autres structures similaires, dans des régions sécurisées. Par exemple, le centre de Inates a été fermé, il n’est plus fonctionnel depuis deux ans. Les apprenants ont été transférés à Ayorou. Des alternatives sont prises au niveau de la région pour déplacer les jeunes afin qu’ils poursuivent leur cursus d’apprentissage.

Il reste des efforts à déployer pour améliorer l’apprentissage des jeunes. Pour l’Etat, il s’agit de les insérer en stage. En effet, à leur sortie des centres de formation classique, ce n’est pas toujours évident que ces jeunes aient les bagages nécessaires pour pouvoir s’installer à leur compte. A l’école, nous leur apprenons leur métier d’une manière globale. S’ils peuvent suivre un stage avec les maîtres d’apprentissage ou dans l’industrie, ils pourront encore se perfectionner.

Témoignage du Directeur du collège d’enseignement technique de Tillabéri, Mansour Moussa

Le collège technique de Tillabéri compte 425 apprenants formés dans 7 filières:  agro-sylvo-pastoralisme, construction métallique, électricité, économie familiale, mécanique, bâtiment et plomberie. La formation des jeunes filles occupe une place très importante, c’est une des priorités de notre établissement.

Chaque année le nombre de filles ne fait qu’augmenter. Les filles viennent en priorité apprendre les métiers de l’économie familiale (couture, restauration…), car cela augmente de manière substantielle leurs revenus et concoure à leur autonomisation. Les apprenantes créent souvent leur propre atelier à la maison. Nous avons également des filles dans la filière plomberie et certaines ont eu un contrat avec la Croix-Rouge.

Dans notre école, nous faisons face à plusieurs problèmes, en particulier le manque de matière d’œuvre: quand on veut apprendre, il faut avoir de quoi travailler! L’exiguïté des bâtiments est aussi un frein à l’apprentissage et certains ateliers ne sont pas assez équipés.

Le projet ProEMPLOI* soutenu par l’Allemagne et l’Union Européenne nous a amené un appui matériel de dernière génération pour la section soudure qui a reçu beaucoup de matériel tel que poste à souder, plieuse, établi, compresseur,…

Nous avons eu aussi des matières d’œuvre qui nous ont permis d’organiser deux sessions de formation en soudure. En termes d’appui technique, notre établissement a bénéficié de formation de coach et de formation en ingénierie de formation. Les appuis ont donné une grande visibilité à notre établissement, cela a motivé de nombreux jeunes à venir s’inscrire chez nous.

Avec la formation technique des jeunes, nous avons réglé plusieurs problèmes de manque de main d’oeuvre dans certains métiers de la région. La clé de la réussite dépend de la volonté des jeunes. Nous poussons les jeunes créer leur propre entreprise.

Chaque jeune que nous formons a une idée de business. Ils veulent dépasser leur maître d’atelier, être indépendant financièrement et créer leur propre autonomisation. C’est une fierté pour moi et pour les maîtres d’atelier.

Témoignage de M. Douma Moussa, Maire de la commune urbaine de Tillabéri

La commune urbaine de Tillabéri est à 115 km de Niamey. C’est une commune à vocation agricole et pastorale. Nous avons beaucoup de jeunes qui n’ont pas de travail et cela constitue un défi majeur ici. Beaucoup sont diplômés et veulent trouver un emploi dans un bureau.

Le secteur privé est un domaine où on peut réussir aujourd’hui au Niger et obtenir une certaine autonomie. C’est très important que les jeunes s’intéressent au secteur privé. Dans la commune de Tillabéri, la santé de ce secteur est bonne, dans la mesure où les quelques entreprises permettent aux jeunes de trouver de quoi subvenir à leurs besoins.

En tant qu’autorité, nous accompagnons et conseillons les jeunes. Les jeunes qui restent dans l’oisiveté s’adonnent à des activités qui ne nous honorent pas, comme le terrorisme. Mais une fois qu’ils ont du travail, le problème est résolu car ils ont de quoi subvenir à leurs besoins.

Les jeunes filles aujourd’hui travaillent pleinement dans le secteur de l’entrepreneuriat. Beaucoup sont à la tête de leur entreprise et y trouvent leur compte. De nombreuses filles aujourd’hui s’adonnent à la couture, et même à la mécanique ou à la menuiserie. En tant qu’autorité, nous sommes très heureux de voir les filles et les garçons faire les mêmes activités. Je peux même dire que les filles réussissent mieux que les jeunes garçons!

Le projet ProEMPLOI appuie nos communes. Beaucoup de jeunes sont devenus des entrepreneurs. Et eux-mêmes peuvent recruter d’autres personnes, les opportunités se multiplient.

Témoignage de Saidan Oumourou, étudiant en soudure

J’aime la soudure car c’est un bon métier qui nous permet de construire des portes, des chaises,… J’ai pris la décision d’apprendre la soudure pour aider mes parents et mes amis. Après l’école secondaire, j’ai déposé mes dossiers de candidature dans beaucoup d’endroits mais je n’ai pas trouvé d’emploi. Je me suis demandé que faire…

J’ai pris la décision d’apprendre la soudure, comme j’ai mes deux mains, c’est elles qui vont me permettre de travailler! Petit à petit, je progresse. J’apprends ce métier depuis 7 ans. La formation de renforcement de nos capacités soutenue par ProEMPLOI m’a aidé à fabriquer de nouveaux objets, comme une table à manger, des chaises… J’ai appris de nouvelles techniques comme travailler avec la soudure à gaz.

D’ici cinq à six ans, j’ambitionne d’ouvrir mon propre atelier. Je voudrais moi aussi former des jeunes, comme mon patron d’atelier m’a appris. C’est important pour moi d’apprendre aux autres car je peux mourir demain mais les jeunes continueront après moi et eux aussi apprendront à d’autres!

Témoignage d’Amadou Yacouba, maître d’atelier en construction métallique

De nombreuses personnes réalisent des constructions dans la commune urbaine de Tillabéri et cela nous procure beaucoup de travail. La majorité des apprentis dans mon atelier sont des jeunes de 15 à 35 ans. Il y a des jeunes déscolarisés, d’autres sont venus en ville à cause de l’insécurité. Les parents me les ont amenés pour qu’ils puissent apprendre un métier. Dans mon atelier, j’ai 20 apprenants. Certains sont là depuis plus de deux ans et sont aptes à être eux-mêmes chefs d’atelier.

Ce qui me motive: je vois que l’Etat du Niger ne peut pas engager tous les jeunes qui terminent leurs études. Avec nos ateliers, c’est un support que l’on apporte à l’Etat pour former d’autres jeunes. Après un an ou deux ans, ils peuvent être chefs d’atelier et former d’autres jeunes.

Plus de dix jeunes qui sont passés par chez moi ont un emploi, certains sont chefs d’atelier, d’autres ont été engagés par des entreprises. Certains travaillent aussi sur la construction du barrage de Kandaji.

Une bonne formation nécessite de la patience de la part du jeune. Une fois la formation acquise, il faut persévérer et continuer de travailler et d’apprendre pour rester dans le circuit.

Je voudrais donner un conseil aux jeunes: n’attendez pas que tout vienne facilement. Il faut chercher à être utile pour soi et pour le pays. L’Etat ne peut pas embaucher tous ses enfants. Il faut s’insérer dans des ateliers pour apprendre.

Mes projets? Aider plus de jeunes à apprendre un métier et disposer d’une petite salle pour former les jeunes en continu.

Apports du projet ProEMPLOI dans la région de Tillabéri (au 30 septembre 2022)

ProEMPLOI a formé à Tillabéri plus de 554 jeunes dans les filières de la construction métallique, de la menuiserie bois, de la mécanique rurale, de la restauration, de l’électricité bâtiment, de la transformation agricole et de la couture. Parmi ces jeunes, il y a 315 femmes (57%). ProEMPLOI a également formé des formateurs et chefs d’établissement. Du matériel a été déployé pour les formations des jeunes. Le projet intervient dans 8 départements (Balléyara, Kollo, Gothèye, Ouallam, Say, Téra, Tillabéri et Torodi) et 16 communes et est co-financé par l’Allemagne et l’Union européenne.

Les changements apportés sont multiples:

  • Les jeunes sont formés dans les structures de Tillabéri commune.
  • Du matériel a été mis à disposition des différents centres de formation.
  • Les capacités des formateurs ont été renforcées.
  • Des formateurs en coaching ont été formés à l’accompagnement des jeunes qui sortent du cadre de leur formation, dans leur installation et leur insertion professionnelle.

*Le projet ProEMPLOI fait partie de l’ensemble des 1200 projets labélisés Alliance Sahel.

Crédits photos: Alliance Sahel/2022/Aude Rossignol


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