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Mettre en lumière les femmes pour valoriser leur travail et leurs savoirs

Lors du 10ème Comité de Pilotage Opérationnel de l’Alliance Sahel, le panel de discussion « Femmes et résiliences au Sahel » a porté sur la résilience économique des femmes et leur rôle comme vecteurs de paix et de stabilité face aux multiples crises sécuritaire, politique et climatique au Sahel. Une des participantes à ce panel, la princesse Esther Kamatari de la fondation Princesse Esther Kamatari, revient sur les défis majeurs des femmes du Sahel.

Entretien avec la princesse Esther Kamatari de la fondation Princesse Esther Kamatari, le 7 décembre 2022 à Bruxelles. Photo: Aude Rossignol/Alliance Sahel

Qu’est-ce qui a motivé votre travail de renforcement des capacités des femmes et de leur résilience?

Après l’assassinat de mon père, j’ai quitté le Burundi et cet événement a été un marqueur sur ce que je suis devenue aujourd’hui. Si la résilience est la résistance à des chocs et donc la résilience m’a forgé, elle a eu pour moi un sens réel, profond et inspiré mon parcours en passant par la mode. Mais comme la mode est un métier qui a un temps imparti, je me suis investie dans ce que j’ai vu mes parents faire, c’est-à-dire l’autre. J’ai vu ma mère aider les autres femmes à se sentir mieux après toutes les péripéties vécues. Après ma carrière de top-model, je me suis donc investie, non pas dans l’humanitaire mais dans l’humanité.

Pourriez-vous nous parler de votre travail, comme vous dites, d’humanité avec les femmes de la région du Sahel et pourquoi le Sahel, plus spécifiquement pourquoi le Mali?

Je suis arrivée au Mali par le biais de la mode et j’ai été invitée à Gao, dans le nord du Mali, par la première dame de l’époque dans le cadre d’un projet de caravane de la mode pour promouvoir le savoir-faire. En visitant Gao, j’ai été fortement touchée par un petit orphelinat qui s’appelait le centre Niali. J’ai vu tous ces enfants et je me suis dit que je reviendrai avec un projet. L’année qui a suivi, je suis retournée à Gao, cette fois avec un bus avec des sièges aux couleurs du drapeau national et un accès facile aux personnes à mobilité réduite, pour permettre aux enfants du centre Niali de se rendre à l’école. En effet, les fortes chaleurs et les longs trajets découragent la continuité de la scolarité des jeunes élèves.

Don d’un bus scolaire. Photo: Fondation Princesse Esther Kamatari

A Bamako, j’ai eu l’idée de recycler le plastique en dalles de sol mais pendant ce projet il y a eu la Covid et je me suis retrouvé coincée à Bamako. Pendant ce confinement et en collaboration avec des tailleurs maliens, nous nous sommes lancés dans la création de masques en coton malien, l’or blanc du Mali. Pour accompagner les mesures d’hygiène, j’ai collaboré avec une petite coopérative de femmes qui ont fabriqué et vendu leurs savons à base de beurre de karité, avec une plus-value pour augmenter leur production de savons.  

Avec la fédération des femmes minières du Mali, nous avons également parcouru plus de 4.000 km à la rencontre des femmes travaillant dans les mines. J’y ai vu des femmes qui se lèvent aux aurores pour nourrir leurs enfants, accomplir les tâches ménagères avant d’aller dans les mines toute la journée, nettoyer les extractions de minerais d’or. Malheureusement tant qu’elles ne voient pas et ne comprennent pas ce que leur travail permet de produire, elles ne sentent pas leur labeur important.

La seule façon de valoriser leur travail et leur savoir c’est de les mettre en lumière et de les former. Ainsi, j’ai organisé un évènement de mode à Bamako où elles sont venues défiler. Le but était de leur montrer que ce n’est pas parce qu’elles trempent dans la boue toute la journée qu’elles n’ont pas de valeur.

De la mine au podium. Photo: Fondation Princesse Esther Kamatari

Quels sont les défis majeurs auxquels les femmes font face dans leurs activités de développement au Mali?

Pour moi, la problématique du Mali est la même que les autres pays du Sahel et dans les alentours. Les femmes ont presque les mêmes conditions de vie ; elles ont le poids de la tradition, des clans de famille, de la religion, des coutumes etc. Je pense que le défi majeur pour les femmes du Sahel, c’est l’éducation et la formation. J’ai travaillé avec des femmes qui sont invisibilisées ; celles qui ne sont pas fonctionnaires, pas politiciennes, pas médecins, pas chercheuses mais qui sont le socle de la société, celles qui organisent la vie.

J’ai vu des femmes d’un courage incroyable, qui travaillent sans relâche, motivées par la préoccupation de voir leurs enfants avoir accès aux soins de santés et être scolarisés. La première chose qui m’a surprise quand j’étais à Bamako, c’était de voir les hommes, au bord de la route boire leur thé ou dormir mais je n’ai presque jamais vu une femme qui n’avait pas un objet sur la tête ou qui n’était pas en train de travailler. In fine, le développement pour ces femmes passe par le fait de leur faire confiance, de leur fournir des outils, de les mettre en valeur, de les motiver et de leur montrer qu’elles comptent.  

Distribution de masques. Photo: Fondation Princesse Esther Kamatari

Comment valoriser, motiver les femmes dans le contexte que vous venez de décrire?

S’intéresser à elles, promouvoir leur savoir-faire qui est extraordinaire, les mettre en valeur, les écouter.

Pour avoir accès à ces femmes, je suis allée vers elles, j’ai été voir le chef de village et les autorités locales. Je me suis présentée avec humilité parce que je ne venais pas apporter quelque chose de différent mais je venais les écouter pour voir ce que nous pouvions faire ensemble.

Quand j’ai commencé cette idée de ramasser les plastiques, j’ai vu une femme qui habitait devant une décharge. La vision et l’horizon de cette femme et de sa famille, c’était des déchets. Je suis allée la voir, et je lui ai expliqué que le tas de plastique devant elle, c’est de l’argent. Je lui ai proposé qu’au lieu de se lever pour aller demander 100 francs dans la rue, qu’elle ramasse le plastique et je le lui achète à 200 francs/kg. Avec un groupe de femmes, elles ont ramassé 5 tonnes de plastique et quand elles ont été payées, j’ai vu dans leur regard qu’elles avaient compris ce qu’elles avaient devant elles, une fortune. Il y avait aussi l’idée de leur montrer que le plastique n’est pas un déchet, c’est une matière première.

Il y a aussi une responsabilité politique notamment au Mali. Le plastique a été interdit de fabrication et d’importation depuis 2014 mais il n’y a pas de décret d’application. De ce fait, une femme qui va au marché acheter des tomates, ses tomates sont vendues dans un sachet plastique, or le prix de ce plastique est compris dans la valeur des tomates. Cette femme pense que ce plastique est gratuit. Les choses gratuites n’ayant pas de valeur, elle le jette. Mais c’est tout le monde qui jette aujourd’hui et le Mali croule sous des déchets plastiques.

Quelles sont vos recommandations à l’endroit des bailleurs?

Encore une fois, c’est d’écouter ces femmes, d’aller les voir, ne pas se contenter des statistiques et d’assouplir le process. Il faudrait également les former, les sensibiliser, les  informer et ensuite avoir confiance et respecter leur savoir-faire et leur travail.

Biographie
Née au Burundi et membre de la famille royale, la princesse Esther Kamatari est installée en France depuis les années 1970. Révélée par Paco Rabanne, la princesse Kamatari devient le premier mannequin noir africain. Depuis les années 1990, Esther Kamatari est activement engagée dans des actions à vocation humanitaire, notamment en faveur des femmes et des enfants. Elle fonde en 1995 l’association « Un enfant par Rugo » ainsi que l’Association des Burundais en France, et collabore étroitement avec des agences onusiennes (UNICEF, PAM, PNUD). En 2019, installée au Mali où elle entend continuer son combat pour la paix et la cohésion sociale, l’émancipation et l’autonomisation des femmes, l’assainissement et la salubrité publique, ainsi que la lutte contre les atteintes et les détériorations de l’environnement, elle crée la fondation humanitaire ‘’Fondation Princesse Esther Kamatari« . En 2020, elle participe activement à la lutte contre la pandémie COVID-19 au Mali, par la fabrication et la distribution de masques en coton malien et de savons maliens. En 2021, en partenariat avec la MINUSMA, elle créée le premier parcours sportif et une aire de repos à Bamako réalisés avec des déchets plastiques recyclés et la participation des populations locales, notamment les femmes, visant à sensibiliser à la protection de l’environnement et à mettre en lumière la capacité d’action et la force collective des femmes des communautés.
Pour ses actions humanitaires, la Princesse a été primée en 1999 aux Africans Ladies de l’UNESCO et décorée en 2002 de l’Ordre National du Lion par Son Excellence Maître Abdoulaye WADE, Président du Sénégal. La Princesse vit à Paris et a trois enfants.

Propos recueillis par Carmelle Nezerwe


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