« Nous devons nous inspirer des bonnes pratiques développées par les Sahélien.ne.s dans la préservation des sols »
En marge de la quinzième session de la Conférence des Parties (COP15) de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification (UNCCD), un entretien avec le Coordonnateur Sous-Régional pour l’Afrique de l’Ouest et Représentant au Sénégal de la FAO, Dr Gouantoueu Robert GUEI.
Dans le Sahel, quels sont les défis les plus importants actuellement en termes de conservation des sols et de lutte contre la désertification ?
La dégradation des sols et la désertification sont deux menaces importantes pour la région du Sahel. Elles sont liées à d’autres problématiques telles que le changement climatique, la croissance démographique, les défis posés pour l’augmentation de la productivité agricole mais également les déplacements massifs des populations dus au terrorisme. Il est à noter également que les défis liés à la disponibilité de l’eau sont très préoccupants: 80% de la population en Afrique de l’Ouest et au Sahel vit dans des zones arides ou semi-arides avec une drastique réduction de la biomasse qui est très importante dans la conservation des sols. En milieu rural, 95 % de la population exploite des terres touchées par la dégradation des sols, et parmi ces personnes, 62% vivent sous le seuil de pauvreté. La pauvreté et la dégradation des terres forment un cercle vicieux, que nous devons nous employer à combattre.
Les sols dégradés ne peuvent plus produire de nourriture en quantité et qualité suffisantes. On estime que l’Afrique est un des continents les plus exposés à la désertification, avec 45% des terres touchées, dont 55% courent un risque de dégradation supplémentaire si des mesures idoines de sont pas prises. Il est estimé que 12 000 000 d’hectares de terres sont perdus chaque année alors que si elles étaient conservées, elles pourraient produire jusqu’à 20 millions de tonnes de céréales annuellement.
En quoi ces menaces sur les sols impactent-elles la souveraineté alimentaire, et plus largement les conditions de vie des populations ?
Le dernier rapport du Cadre Harmonisé (CH) montre que plus de 27 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire au Sahel et en Afrique de l’Ouest pour la période de mars à mai 2022, dont près de 1,3 millions personnes en situation d’urgence (Phase 4) et près de de 26 millions en situation de crise (Phase 3). Durant la période de soudure, de juin à août 2022, ce nombre pourrait atteindre 38,3 millions de personnes, dont près de 2,7 millions en situation d’urgence (phase 4). Ces chiffres dénotent la fragilité des moyens d’existence des populations de cette sous-région, et plus particulièrement dans les pays du G5 Sahel qui vivent principalement de l’agriculture pluviale. Dans ces zones, les populations n’arrivent pas à produire localement tout ce dont elles ont besoin. Les Gouvernements sont obligés d’importer les produits alimentaires de base pour combler le déficit. Mais il est important de souligner que tous les Gouvernements du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest avec qui nous travaillons, sont conscients des enjeux actuels de la souveraineté alimentaire. Plusieurs pays d’ailleurs étudient actuellement les possibilités de développer et renforcer la production de céréales au plan local : mil, sorgho, maïs, des céréales endogènes à développer pour la fabrication de substituts au pain et d’autres mets pour nourrir les familles.
Comment la FAO soutient-elle les Sahélien.ne.s dans la préservation de leurs sols et plus largement dans la lutte contre les changements climatiques ?
Les solutions de la FAO et de ses partenaires concourent à prévenir, à enrayer et à inverser la dégradation des écosystèmes terrestres. La perte de la qualité des sols pour nous n’est pas une fatalité. On peut toujours inverser la situation. Nous travaillons avec les Gouvernements et les Organisations sous-régionales (CEDEAO, CILSS, UEMOA, G5 Sahel…) à la mise en place de politiques cohérentes, de stratégies, de programmes et de projets. Avec la sensibilisation des Gouvernements locaux et des populations, nous pourrons arriver à prévenir la dégradation des écosystèmes. A titre d’exemple, nous développons plusieurs initiatives dans ce sens :
- Deux programmes sont élaborés avec et à la demande de la CEDEAO. Il s’agit du programme Agroécologie et du programme de gestion intégrée des ressources en eau. C’est une initiative sous-régionale en faveur d’une production agro-sylvo-pastorale et halieutique climato résiliente et durable en utilisant des méthodes respectueuses de la nature (nature based solutions), en agissant sur la maitrise de l’eau, la conservation des sols et de l’eau, la restauration des terres dégradées et l’amélioration de la santé des sols.
- La FAO met en œuvre le programme « Action Contre la Désertification » en appui à la Grande Muraille Verte (GMV) dans la lutte contre la dégradation des terres et la désertification, la gestion durable et la restauration de leurs forêts et des parcours des zones arides. Comme résultats 25 millions d’arbres, combinés à des graminées fourragères ont été plantés sur 53 000 hectares de terres agro-sylvo-pastorales dégradées mises en restauration et 15 000 hectares supplémentaires restaurés grâce aux méthodes de gestion durable des terres.
- Ce que nous apprenons au niveau des régions concernées par la Grande Muraille Verte, peut être répliqué dans d’autres pays grâce à l’expertise de la FAO présente dans toute la sous-région.
- Plusieurs projets de résilience et de gestion rationnelle des ressources naturelles sont mis en œuvre comme entre autres: – le projet GLONET, – le projet 1 million de Citernes pour le Sahel, – le projet Fouta Djalon, – Le projet de Transformation Globale des Forêts pour les Peuples et le Climat en Afrique de L’Ouest.
- Nous avons aussi développé beaucoup d’instruments et de guides qui sont à la disposition des pays et des organisations sur la gestion rationnelle des terres et des sols, sur le pastoralisme, sur la gestion efficiente de l’eau….
- Nous mettons à la disposition des communautés des projets qui œuvrent en faveur de l’utilisation rationnelle des ressources naturelles et de la protection de l’environnement et la biodiversité.
Quel intérêt et plus-value de l’Alliance Sahel dans le domaine de la préservation des sols?
Les difficultés au Sahel ne sont pas une fatalité, le Sahel est une Terre d’opportunités! Si nous travaillons ensemble en synergie, comme l’Alliance Sahel le prône, si chacun contribue et joue le rôle de son avantage comparatif, nous pouvons contribuer à la résolution des problèmes du Sahel.
En termes d’agriculture, trois éléments sont essentiels : Le sol, l’eau, les semences améliorées. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les ressources en eau du Sahel sont abondantes, qu’elles soient souterraines ou de surface. Il est nécessaire de trouver des approches plus fiables et économiques pour que les pays sahéliens puissent mobiliser cette eau. L’utilisation de l’énergie solaire est un atout majeur à exploiter.
Préserver les sols, c’est agir pour améliorer la productivité agricole ainsi que la qualité nutritionnelle des produits agricoles. C’est donc assurer à la fois une meilleure nutrition des populations, la sécurité alimentaire et réduire la dépendance aux importations. On voit bien comment tout cela est crucial dans le contexte de crise actuel. Nous sommes vraiment au cœur du cœur des quatre meilleurs du Cadre stratégique de la FAO 2022-2031 : meilleure production, une meilleure nutrition, un meilleur environnement et de meilleures conditions de vie pour tous, sans laisser personne de côté.
La FAO dans sa fonction de Lead du groupe agriculture, sécurité alimentaire et développement durable au sein de l’Alliance Sahel apporte d’importants avantages comparatifs en termes d’expertise technique pour les pays de la sous-région. C’est important d’analyser dans quelle mesure nous pouvons mettre ensemble nos avantages comparatifs et travailler davantage ensemble. La FAO a une expertise solide et est très présente sur le terrain. Nous avons des expériences de projets à valoriser auprès des autres membres et partenaires de l’Alliance pour un travail en synergie.
Quels espoirs et nouvelles pistes de solution émergent de la COP15 ? Qu’attendez-vous de cette grande rencontre et des travaux qui s’y tiennent ?
Il est important de noter la synergie de collaboration entre les trois conventions de Rio et la FAO. C’est une coopération évidente qui a été rappelée pendant la COP 15. J’ai eu l’occasion de participer à Abidjan à plusieurs tables rondes et de side-event de la COP 15. La FAO a été sollicitée pour son expertise dans beaucoup de réunions. La COP a réussi à mettre toutes les intelligences, toutes les conventions ensemble pour que tout le monde se penche sur le problème de la désertification et de la restauration des sols, avec des approches, des technologies et des idées différentes. La COP 15 est en train de mettre toutes les solutions et expériences ensemble pour analyser et répondre efficacement aux problèmes de dégradation des sols là où ils se posent.
La perte de qualité des terres n’est pas seulement un problème africain, c’est un problème mondial. Nous demandons une volonté politique accrue au niveau de nos décideurs, de tous les bailleurs et des institutions clés présentes à la COP 15 pour relever ce défi commun de mettre fin la désertification et restaurer de manière durable nos terres.
Quels sont les atouts et potentiels de la région du Sahel dans la lutte contre la désertification ? Quels enseignements les Sahélien.ne.s auraient à partager avec le Monde ?
Les Sahéliens font partie des peuples les plus résilients au monde. Quand on regarde les conditions dans lesquelles ce peuple vit, quand on observe leur environnement, notamment en termes de dégradation des sols, d’accès à l’eau, de chaleur, de disparition de la biodiversité, de changement climatique, la résilience des sahéliens est une chose que nous devons apprendre d’eux. Les Sahéliens ont développé par exemple des approches endogènes de gestion de l’eau : je pense aux techniques en demi-lune, aux techniques de Zaï,… Cela leur permet de récupérer des terres perdues et de pratiquer l’agriculture malgré les conditions difficiles. Si nous pouvions nous inspirer de ce que font les populations du Sahel et de mettre à l’échelle les bonnes pratiques qu’elles ont développées, je pense que nous pourrions contribuer de manière efficace à lutter contre la dégradation des sols. J’ai vu le témoignage des femmes qui au Niger ont réussi à changer complètement leur environnement en plantant des arbres sur leurs terres pour augmenter leur production et leur productivité. Au début les autres femmes n’étaient pas convaincues, et puis elles se sont rendu compte que celles qui ont essayé l’agroforesterie ont pu sécuriser leurs cultures et même planter davantage.
Une autre pratique inspirante du Sahel à répliquer dans d’autres parties du monde est le travail en synergie des grandes organisations et des bailleurs, comme par exemple l’Alliance Sahel ou l’UNISS. Ces instances qui aujourd’hui s’entendent et travaillent ensemble. Leur dynamique de collaboration et de travail sur des opportunités énormes est une source d’enseignements pour le reste du monde. Le Sahel est un vaste espace, une terre d’opportunités. La situation ne va pas s’inverser du jour au lendemain mais il y a du travail qui est fait, des résultats sont obtenus et cela prend du temps mais je suis sûr que nous sommes dans la bonne direction !
Pour en savoir plus sur le travail de la FAO au Sahel et en Afrique de l’Ouest: Bureau sous-régional de la FAO pour l’Afrique de l’ouest | Bureau régional de la FAO pour l’Afrique | Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture