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« Le potentiel réel en eau potable du Burkina Faso pourrait largement répondre aux besoins des populations »

Dans le cadre de la journée mondiale de l’eau, Denis Dakoure, Chargé de mission eau et assainissement à l’Agence française de développement (AFD), répond aux questions de l’Alliance Sahel sur les potentiels et les défis de son pays dans le secteur de l’eau et de l’assainissement.

Le Burkina Faso s’est doté en 2015 d’une ambitieuse politique nationale de l’eau, en lien avec les Objectifs de Développement Durable (ODD). Cette politique, développée sur 15 ans, cible l’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement d’ici 2030.

Quels sont en 2022 les principaux défis au Burkina Faso en termes d’accès à l’eau potable et à l’assainissement?  

Aujourd’hui, sur l’ensemble du Burkina Faso, le taux d’accès à l’eau potable est de 76%. En 2005, on était à 68%. Par ailleurs, il existe des disparités sur l’ensemble du territoire selon que les populations se trouvent en milieu urbain ou en milieu rural. En ville, on tourne autour de 93% de taux d’accès, en milieu rural on est en dessous de 70%. A ce rythme, il nous faudra encore une bonne trentaine d’année pour atteindre le taux d’accès universel!

Les freins en milieu rural sont dû notamment au manque de financements. Aujourd’hui, seuls 41% du budget sont acquis. Pour l’assainissement, la situation est encore plus difficile: aujourd’hui, nous sommes à 25% de la population du pays qui a accès à des ouvrages d’assainissement. En 2005, on était à moins de 10%. Il y a également des disparités entre le milieu rural et le milieu urbain, et entre les différentes régions du pays.

Au-delà de la construction de latrines, nous nous sommes rendus compte qu’il faut prendre l’assainissement dans sa globalité et améliorer les services à l’échelle de toute la filière. Cette filière doit être structurée de bout en bout, depuis le stockage et le traitement jusqu’à la valorisation des déchets. Pour le moment au Burkina nous n’avons des stations de traitement que dans les deux grandes villes principales et elles sont déjà saturées. L’AFD est en train de mener une étude et d’instruire un projet pour améliorer la situation à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso, avec un financement de 25 à 30 millions d’euros.

Par ailleurs, en termes de capacité des acteurs à bien gérer la filière, nous avons des défis énormes, car ce sont des métiers nouveaux. Les acteurs des sociétés nationales comme l’Office National de l’Eau et des opérateurs privés doivent être formés. Des expériences existent, maintenant il reste à trouver les modèles financiers qui puissent les viabiliser.

Un vrai challenge est lié à l’amélioration de la connaissance et à la gestion de l’eau. Pour assurer l’accès des populations à l’eau, il faut en effet connaître la disponibilité de cette ressource. Malheureusement à l’heure actuelle, que ce soit en termes qualitatif ou quantitatif, les connaissances demeurent insuffisantes et même absentes pour certaines zones, notamment en ce qui concerne les eaux souterraines.

Construction de bâche de stockage. Crédit photo: AFD.

Quel est l’impact de la dégradation sécuritaire sur l’accès à l’eau?

Depuis 2019, des communes sont soumises à une arrivée massive de personnes déplacées suite aux conflits, notamment dans la zone des 3 frontières. Ces personnes s’installent à la périphérie de villes qui connaissaient déjà des problèmes d’assainissement. A ce jour, nous avons près d’1,7 million de déplacés, concentrés autour des villes intérieures. La pression sur les ressources s’accroît et il faut concilier les besoins des populations hôtes avec ceux des populations déplacées qui sont souvent financièrement démunies.

Comment étendre les services d’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans des zones non loties, avec des administrations locales qui ont peu de moyens? On essaie de voir avec les ONG comment concilier action humanitaire et de développement pour assurer la durabilité des services de base.

Comment travaille l’AFD sur les questions d’accès à l’eau avec les humanitaires?

Nous intervenons à la demande de nos contreparties nationales, par exemple l’ONEA (Office national de l’Eau et de l’Assainissement), qui a remarqué dans certaines zones surtout au Nord et au Sahel, que des localités ont été délaissées par certaines entreprises ayant des difficultés à assurer la continuité du service. L’AFD a facilité la mise en relation entre l’ONEA et des ONG humanitaires qui ont l’expérience pour la mise en œuvre des services d’accès à l’eau dans des zones fragiles. Par exemple actuellement un groupe d’ONG (URD, le GRET et Solidarités International) ont constitué un consortium pour accompagner l’ONEA. Nous avons signé une convention de 3,5 millions d’euros en relation avec USAID qui a financé également 2,5 millions de dollars pour soutenir l’accès à l’eau et à l’assainissement dans 5 localités au Nord et au Centre Nord, qui accueillent de nombreuses populations déplacées.

L’avantage de travailler avec des ONG est qu’elles ont une certaine flexibilité de réalisation, des procédures de passation de marché plus rapides et un délai de réponse plus court. Malheureusement, il reste des localités, à l’extrême Nord du pays par exemple, où même les ONG n’arrivent pas à travailler à cause de l’insécurité…

Quels sont les potentiels du Burkina en termes de ressources en eau?

Pose de conduites d’eau en milieu urbain. Crédit photo: AFD

En milieu rural, ce sont les puits, les forages et les mini-réseaux qui sont généralement construits car l’eau souterraine est assez facilement accessible. Avec les pompes à motricité humaine, il n’y a pas de problème pour trouver de l’eau.

En milieu urbain, c’est un mix de ressources qui amène l’eau: tantôt les eaux de surface, tantôt les eaux souterraines. Sur une soixantaine de villes, seule une dizaine utilise les eaux de surface, les autres utilisent les eaux souterraines. Mais pour trouver de gros débits en milieu urbain, cela commence à poser problème car les quantités nécessaires sont importantes.

Il est nécessaire d’investiguer plus largement, au-delà du rayon habituel de prospection autour des villes, pour identifier les potentiels d’approvisionnement en eau. Cela demande une organisation juridique, institutionnelle pour gérer les futurs ouvrages, ainsi qu’une recherche hydrogéologique poussée pour mettre en œuvre des techniques plus élaborées.

Dans l’état actuel des connaissances, et en tenant compte des besoins projetés avec les Objectifs de Développement Durable (ODD), on estime que les besoins sont très en deçà du potentiel réel du pays en réserves d’eau potable. Les analyses sommaires à notre disposition chiffrent à près de 400 milliards de mètres cube les ressources souterraines en eau disponibles. Alors que les besoins projetés ne sont que de 380 millions de mètres cube par an.

Le Burkina dispose d’une bonne expertise et est par définition le pôle d’excellence de l’eau pour les pays francophones. La plus grande école de formation d’ingénieurs en eau et assainissement (l’Institut 2IE) est basée à Ouagadougou et existe depuis plus de 50 ans. C’est même devenu un centre d’excellence de la Banque mondiale. Il y a aussi de nombreux centres de recherches.  

Quelles pratiques innovantes et remarquables avez-vous pu observer au niveau local?

J’ai observé des initiatives de concertations intéressantes à tous les niveaux, du local au national. La plupart des décisions de réalisations à l’échelle locale font l’objet de concertations avec les élus et les représentants de toutes les couches socio-économiques de la localité, pour pouvoir indiquer où réaliser les futures infrastructures.

Dans certaines communes, les élus font le bilan annuellement de ce qu’ils ont réalisé et ce, de manière transparente. Ce sont de bonnes pratiques que l’on essaie d’encourager à l’échelle de toutes nos zones d’intervention. Il est en effet important d’augmenter et d’améliorer la concertation entre tous les acteurs pour une répartition équilibrée de la construction des ouvrages d’adduction d’eau et d’assainissement et ainsi éviter que des localités ne soient oubliées et que d’autres bénéficient de trop d’ouvrages.

Nous travaillons actuellement avec l’ONG GRET sur des projets d’assainissement dans plusieurs communes. Les bonnes pratiques de certaines communes de ce projet sont partagées avec les autres communes pour accélérer la mise en œuvre.

Les collectivités locales jouent un rôle majeur dans l’accès à l’eau potable, qui est une question de proximité. Toute la compétence en lien avec ce secteur est souvent transférée aux communautés. Cela permet d’améliorer l’accès à l’eau grâce à une meilleure adéquation entre les décisions qui sont prises et les demandes locales. Au niveau local, tous les acteurs sont impliqués dans toutes les décisions, depuis la planification jusqu’à la réalisation et même dans les mécanismes de redevabilité. Cela induit une plus grande transparence et in fine l’amélioration de l’accès à l’eau et à l’assainissement. Cela suppose de responsabiliser les collectivités locales dans toute la chaîne des délivrables, dès la planification. Et pour cela, il est important de transférer effectivement les compétences. Au-delà du transfert de patrimoine, il faut aussi transférer les ressources humaines et financières.

A propos de l’appui de l’AFD au secteur eau et assainissement au Burkina Faso

Depuis une vingtaine d’année, l’AFD a octroyé plus de 200 MEUR de financements au secteur de l’eau potable et de l’assainissement au Burkina Faso. 127 MEUR d’engagements sont en cours d’exécution.

L’AFD soutient l’opérateur public ONEA pour ses investissements de production et de distribution d’eau potable à Ouagadougou (avec le projet emblématique du barrage de Ziga notamment) et Bobo-Dioulasso, et d’assainissement en milieu urbain dans six villes secondaires du pays.

L’Agence française de Développement accompagne également l’accès en eau potable en milieu rural dans la région Est du pays, en accompagnant la politique nationale visant à déléguer la gestion des systèmes d’adduction d’eau potable rurale à des opérateurs privés (affermage).

Ces appuis de l’AFD ont vocation à se poursuivre à court et moyen termes, en maintenant les priorités géographiques actuelles (Ouaga, Bobo Dioulasso, région Est) tout en déployant de nouveaux appuis sur la zone Nord du pays qui fait face à d’importants enjeux de re-légitimation de la présence de l’Etat.

Les projets en phase de démarrage:
– raccordements subventionnés au réseau d’eau potable dans les villes du nord
– accroissement de la production et de la distribution d’eau à Ouahigouya.


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