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Investir dans les infrastructures publiques au Mali

En étroite relation avec les populations bénéficiaires et les autorités locales, le projet « Construisons pour la Paix » contribue à redynamiser l’espace socio-économique au nord du Mali. Ce projet financé par la Fondation de la Facilité Sahel adopte une approche « zonale », centrée sur le plan géographique, et flexible, pour tenir compte du contexte changeant.

Interview avec :

  • Boulaye Dembele (BD), Chargé de développement de projet chez ACTED et point-focal du projet « Construisons pour la paix »
  • Avedis Babarian (AB), membre d’ACTED et coordinateur du consortium du projet « Construisons pour la paix »

A quelles problématiques tentez-vous de répondre avec ce projet ? Comment les besoins ont-ils été identifiés ?

AB : Le projet « Construisons pour la paix » vise à redynamiser l’espace socio-économique au nord du Mali en impliquant les communautés dans le processus de construction et de réhabilitation d’infrastructures publiques : centre de santé, écoles, installations sanitaires et hygiéniques…

Les besoins les plus importants sont liés à l’eau. C’est l’un des domaines les plus critiques dans cette région.

Initialement prévu dans certains cercles de la région de Gao/Ansongo, nous avons étendu la zone de mise en œuvre en raison de la situation sécuritaire complexe dans le nord du Mali. Cette décision prise en accord avec les partenaires de mise en œuvre et la Fondation de la Facilité Sahel permet de minimiser l’impact en cas de perte d’accès à des sites d’intervention.

Le projet couvre maintenant l’intégralité des régions ciblées au départ et est également déployé à Menaka et à Koro dans le centre du pays.

La priorisation des besoins dans les zones d’intervention a été réalisée par les organisations Search For Common Ground (SFCG) et Tassaght à travers des contacts avec les communautés. Des dialogues et ateliers ont été mis en place par les leaders communautaires pour faire remonter les besoins des communautés, basés sur les Plans de Développement Sociaux Economiques (PDSEC).

Quels sont les défis rencontrés dans les régions concernées ? Est-il possible de travailler dans les zones dites « fragiles » ?

AB : Les défis sont nombreux mais la sécurité est le défi principal pour les bénéficiaires et pour les partenaires de mise en œuvre.  Il y a régulièrement des attaques, vols, braquages et incidents. Un rapport de sécurité récent indiquait 280 incidents dans le nord du pays depuis janvier 2023, dans lesquels des humanitaires ont parfois été volontairement ciblés.

Il y a ensuite le risque élevé de perte d’accès aux zones qui plane sur les activités humanitaires. Les mouvements extrémistes sont dynamiques dans le nord. Du jour au lendemain, on peut perdre accès à des zones et à des infrastructures. C’est déjà arrivé par exemple dans la commune de Talataye à Gao, où il avait été prévu de réhabiliter des latrines. C’est une zone qui n’est plus accessible aujourd’hui. Il a été décidé avec la Fondation Facilité Sahel de réorienter les fonds vers d’autres zones.

Une autre conséquence de l’instabilité de la région est la disponibilité et la capacité des entreprises à aller travailler dans ces zones à risque.

Que mettez-vous en œuvre pour surmonter ces défis et accompagner au mieux les populations ?

BD : Le défi sécuritaire est le défi majeur dans la mise en œuvre de ce projet. Pour y pallier, un suivi régulier de la situation sécuritaire est effectué. La construction des infrastructures reste vitale pour ces populations déjà affectées par la dégradation considérable de leurs conditions de vie.

AB : Pour surmonter les défis, nous adoptons une approche flexible sur le plan géographique, en concertation avec la Facilité Sahel. L’extension des zones d’intervention vers Menaka et Koro permet par exemple de continuer la mise en œuvre du projet et de réorienter les fonds pour la construction d’infrastructures, même en cas de perte d’accès à une zone.

Les contrats avec les prestataires mentionnent que les travaux seront réalisés si les zones sont accessibles à tous les partenaires pendant la durée des travaux, parce qu’il y a des situations où les prestataires locaux ont accès à des zones inaccessibles aux ONG internationales.

On s’appuie beaucoup sur nos partenaires en contact direct avec les populations locales. Il a d’ailleurs été décidé récemment de recentrer nos activités dans les centres urbains où les populations rurales affluent pour fuir les attaques djihadistes. La situation ne s’améliore pas. Je pense que les groupes djihadistes vont prendre plus d’ampleur, notamment l’EIGS (État islamique dans le Grand Sahara) qui risque de faire fuir les populations des communes rurales vers les zones urbaines déjà chargées.

Qu’appréciez-vous dans l’approche proposée par la Fondation Facilité Sahel ? Est-elle adéquate par rapport aux réalités rencontrées sur le terrain ?

AB : La Fondation a une approche zonale, afin d’améliorer la situation socio-économique dans un espace géographique donné. La demande de réorientation des activités dans d’autres zones a quelque peu ébranlé cette philosophie. Et cela n’a pas été facile car le processus de réorientation a été assez long à être mis sur pied, néanmoins nous sommes satisfaits de cette collaboration avec un bailleur qui permet cette flexibilité dans la sélection des zones. On va respecter cette approche holistique en développant dans chaque zone validée des infrastructures WASH (eau, hygiène, assainissement), des centres éducatifs, des centres de santé…

La coordination se passe bien avec une réunion mensuelle lors de laquelle on fait le point sur les avancées. Le suivi est effectué à travers des rapports trimestriels.

Toutefois, il faut noter des échelles de temps différentes entre le niveau programmatique (courte en termes de semaine et mois) et la mise en place sur le terrain qui prend plus de temps. C’est une situation à laquelle les équipes programmes et bailleurs sont confrontées de manière générale.

Comment les populations et les autorités locales sont-elles impliquées dans le projet ?

BD : Le projet se veut inclusif avec 25 sessions de dialogue communautaire organisées par les organisations SFCG et Tassaght au début du projet pour le choix des infrastructures à construire. Les communautés ont été associées dès l’étape d’identification des besoins avec une représentation de toutes les couches sociales : femmes, jeunes, personnes déplacées internes… On s’assure de la représentativité des femmes à tous les niveaux, dans les recrutements locaux, les comités de gestion et dans la main d’œuvre, dans la mesure du possible.

Les leaders religieux, les autorités communales, les leaders traditionnels, etc. prennent part à la mise en œuvre du projet. Par exemple, les autorités municipales participent aux ateliers de validation des zones d’intervention. On collabore avec les leaders locaux et les chefs de quartiers pour définir les critères de sélection des bénéficiaires pour le « Cash For Work » pour lequel le recrutement se fait au niveau local.

Les activités de réception provisoire des infrastructures impliquent la participation des services techniques déconcentrés. Le partenaire SFCG s’appuie sur des ambassadeurs choisis au sein de la communauté pour mener certaines activités. Des protocoles et conventions sont signés avec les communes d’intervention pour la gestion et le suivi de certaines infrastructures.

Quelle place occupe la coordination avec les autres ONG dans la réalisation du projet ? La coordination sur le terrain est-elle effective ?

AB : C’est grâce aux échanges avec les partenaires du cluster WASH que nous avons identifiés la zone de Menaka pour la construction de deux infrastructures d’adduction solaire en eau potable.

En raison de la proximité de lieu et de thématique, nous sommes en lien avec l’ONG Welthungerhilfe (WHH) qui développe un projet d’infrastructure financé par la KFW dans la même zone, pour voir comment créer une émulation entre les deux projets.

Une collaboration existe aussi avec le cluster « Abri » pour des partage d’expériences. Par ailleurs, ces acteurs pourraient nous faire remonter des besoins de personnes déplacées qui pourraient être pris en charge par notre projet.

A Gao, Bourem et Ansongo, il y a peu d’acteurs au niveau des infrastructures. C’est un challenge qui renforce la pertinence du projet.

Quels sont les premiers résultats atteints à ce jour ?

AB : Cinq infrastructures ont été finalisées :

  • 2 points d’adduction solaire en eau potable à Menaka
  • 1 parc de vaccination du bétail à Tilemsi
  • 1 bloc de latrines à Tilemsi
  • 1 puits dans la commune de Inekar
  • Le forage de Tinaoker a été réhabilité.

Ma satisfaction est de voir se concrétiser des infrastructures et de voir qu’elles sont effectivement utilisées par les bénéficiaires. Entre l’élaboration des cahiers de charges, le lancement des appels d’offre, la réception des propositions, la rédaction de contrats… Je peux dire que l’attente et les difficultés sont proportionnelles à la satisfaction.

BD : Au tableau des résultats, il faut aussi ajouter :

  • les 25 sessions de dialogue communautaire
  • le Conflict scan réalisé pour étudier la dynamique des conflits et la situation sécuritaire dans la zone d’intervention
  • Un atelier de réflexion
  • les sessions de formation des comités de gestion des infrastructures
  • la formation des bénéficiaires du Cash for Work – HIMO (Haute Intensité de Main d’œuvre)

C’est gratifiant de voir les procès-verbaux de réception provisoire d’une infrastructure. Le dynamisme et la synergie des 3 partenaires engagés dans la mise en œuvre du projet est à saluer également.

Informations concernant le projet

Le projet « Construisons pour la paix » est mis en œuvre par un consortium de partenaires comprenant 3 ONG internationales, ACTED (chef de file), ACTED Impact, Search For Common Ground et l’ONG locale, Tassaght.

Objectif : Contribuer à la consolidation de la paix, à la prévention des conflits et au développement par le biais d’investissements catalytiques communautaires.

Planning : 2021-2025

Budget total : 5 millions d’euros


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