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Au Sahel, les femmes rurales bâtissent la résilience au changement climatique 

Les femmes rurales occupent une place centrale dans le secteur agricole au Sahel. Présentes tout au long de la chaîne de production, de la terre à la commercialisation des produits, en passant par leur transformation, elles subissent en première ligne les effets du changement climatique. Au Mali et en Mauritanie, nous sommes allés à la rencontre de celles qui s’activent pour résister aux défis socio-économiques et environnementaux.

Pesée d’arachides dans le village de Diangounté Camara (crédit photo ONG MPDL)

Cultiver en terre malienne, un parcours semé d’embûches

Au Mali, plus de 77% des femmes vivent en milieu rural et assurent près de 70% de la production alimentaire, selon le dernier recensement général de la population et de l’habitat de 2009[1]. Elles occupent une place primordiale dans le développement économique et local, notamment dans le secteur agricole. Mais cultiver en terre malienne est loin d’être simple: depuis les années 70, les communautés rurales sont touchées par plusieurs vagues de sécheresse, les pluies se font rares, les températures augmentent. À cela s’ajoute la déforestation due à la coupe massive du bois, la dégradation des sols et le manque de terres agricoles qui ont un impact sur la productivité et la sécurité alimentaire.

Face aux difficultés socio-économiques et aux contraintes environnementales, de plus en plus de femmes décident de se déplacer vers d’autres régions du Mali ou vers l’étranger. Il est donc primordial de les aider à renforcer leur résilience face au changement climatique, en particulier dans la région de Kayes au Nord-Ouest du Mali, l’une des premières zones migratoires du pays. Les membres de l’Alliance Sahel financent plusieurs projets qui soutiennent les femmes dans leurs initiatives de résiliences et de protection de l’environnement.

L’approche collective pour renforcer la résilience des femmes

A Diéma et Kita, deux cercles dans la région de Kayes, l’ONG MPDL (Mouvement pour la Paix, le Désarmement et la Liberté) financée par l’Agence Espagnole pour la Coopération Internationale au Développement (AECID) et labellisé Alliance Sahel met en œuvre un projet d’insertion socio-économique des femmes et des jeunes touchés par les crises alimentaires, économiques et sociales

Le coordinateur des programmes du MPDL, M. Louka Daou, nous explique:

Avec des banques de semences améliorées mises à disposition, plus de 1.400 femmes ont été regroupées au sein de 15 associations pour exploiter des périmètres maraîchers aménagés avec un système de pompage d’eau solaire sur 13,5 hectares pour la culture, la consommation et la vente de légumes. »

M. Louka Daou, coordinateur de programmes et projets de MPDL, remettant des semences améliorées d’arachides à une bénéficiaire du village de Fangoumba (cercle de Diéma, région de Kayes). (crédit photo ONG MPDL)

La gestion des ressources naturelles est au cœur du projet avec des activités de sensibilisation et de reboisement car « l’arbre appelle la pluie ». En plus de nourrir des familles et de générer des ressources financières, les jardins potagers entretenus par les femmes permettent de restaurer les sols.

Des banques de céréales et des magasins de produits vivriers permettent d’assurer le stockage et la conservation des produits pour les revendre à des prix compétitifs sur le marché national pendant les périodes de soudure. Grâce à la technique du Warrantage, ou crédit-stockage qui permet aux petits producteurs agricoles d’obtenir des prêts en mettant en garantie leur production (mil, riz, maïs, arachide, etc.), plus de 1.000 productrices d’arachides organisées en 13 associations auront accès à des crédits auprès des institutions de microfinance pour lancer des activités génératrices de revenus (maraîchage, petit commerce, embouche bovine,…) lors de la prochaine campagne. 21.930.000 CFA (environ 33.480 €) ont déjà été mobilisés pour plus de 1.400 femmes issues des associations de tontines à Diéma et Kita.

A Diéma, des espaces maraîchers ont cependant dû être abandonnés car les puits étaient asséchés. Après concertation avec les groupements de femmes, les autorités locales et le bailleur de fonds, l’appui a été réorienté d’un commun accord vers une activité de substitution choisie par les bénéficiaires. 48 femmes ont ainsi reçu des kits animaliers pour l’embouche ovine afin de (re)construire un cheptel.

Installation d’une pépinière à Krounikoto (cercle de Kati, région de Kayes) (crédit photo ONG MPDL)

Django Amy Magassa, membre d’une association de Diéma témoigne :

J’ai reçu un appui pour l’élevage des moutons. Je fais l’embouche pour ensuite revendre les bêtes. L’argent généré m’a servi à acheter d’autres moutons et le surplus gagné me permet de prendre en charge les frais de scolarité des enfants, d’assurer mes propres petites dépenses et d’aider mon mari pour les besoins de la famille. »

Une des solutions préconisées par le coordinateur de l’ONG MPDL pour renforcer la résilience des communautés rurales à Diéma est la construction de micro-barrages pour la rétention et la gestion de l’eau de surface recueillie pendant la saison des pluies. Ces ouvrages contribuent entre autres à atténuer les déficits pluviométriques et assurent l’irrigation des cultures maraîchères et rizicoles, le développement de la biodiversité et la restauration de la nappe phréatique.

Soigner la terre, former les esprits

Toute une dynamique associative prend progressivement forme. Sur les sites d’intervention, 67 centres d’alphabétisation fonctionnelle permettent aux bénéficiaires d’apprendre à lire et écrire. Ainsi, plus de 5.600 femmes de Kita et Diéma ont bénéficié de formations sur la vie associative, la gestion économique et financière. Elles ont été accompagnées pour la création d’associations et de coopératives et pour l’obtention des documents administratifs légaux. Les impacts positifs se font ressentir tant au niveau nutritionnel, social qu’économique. C’est un moyen de lutte contre la pauvreté et un facteur de cohésion sociale, qui a par exemple permis de résoudre des conflits communautaires liés aux terres et aux ressources naturelles entre deux quartiers dans le village de Néguébougou (Cercle de Kita).

L’agriculture mauritanienne face aux impacts du changement climatique

En Mauritanie aussi, le changement climatique cause une forte dégradation des écosystèmes et un exode rural des populations. L’ensablement, phénomène de la désertification, est à l’origine de l’engloutissement de maisons, de champs et du recul de l’élevage. Les épisodes de sécheresse ont contraint bon nombre de Mauritaniens à abattre des couverts forestiers pour trouver de nouvelles terres de pâturage.

La rareté des pluies et les températures très élevées affectent l’irrigation des sols qui constituent le principal facteur du problème d’accès à l’eau. Moins d’1% des terres sont considérées comme arables. Pour autant, environ 38% de la superficie totale des terres sont utilisées pour l’agriculture. Malgré une faible production, l’agriculture est vitale pour l’économie mauritanienne, tant à travers la production agricole que l’élevage qui génèrent près de 30% du PIB. C’est en milieu rural que les populations sont les plus affectées par ces changements climatiques. 74% de la population y vit en-dessous du seuil de pauvreté.

Guidimakha, un potentiel agricole à soutenir

La région du Guidimakha, située à l’extrême sud-est de la Mauritanie à la frontière du Sénégal et du Mali, est parmi les plus pauvres du pays. Sa population, en majorité rurale, peine à vivre décemment des revenus tirés de l’agriculture. Principales protagonistes de cette production agricole, les femmes sont les plus affectées parce qu’elles n’en tirent que très peu profit et font face quotidiennement aux défis du changement climatique.

Les terres sont pourtant fertiles et la pluviométrie est avantageuse, contrairement à d’autres régions du pays. Mais les maraîchers de la région manquent de semences et d’engrais de qualité. Ils disposent de systèmes d’irrigation insuffisants et inefficaces. Ils rencontrent des difficultés liées à la conservation, à la transformation et au stockage des produits, rapidement périssables.

Activité de vannerie du projet CoRNT soutenu par la GIZ (Crédit photo GIZ)

Soutenir les femmes avec les mesures d’adaptation

Le Ministère mauritanien de l’Environnement et du Développement durable a décidé de relever ces défis, avec l’appui de l’Alliance Sahel. Depuis 2021, le projet de la GIZ de co-gestion des ressources naturelles et terrestres améliore la résilience des populations vulnérables, notamment des femmes, en développant des stratégies en lien direct avec le climat et en renforçant les capacités d’adaptation. Afin de limiter les impacts négatifs sur les ressources naturelles et la biodiversité, il appuie le renforcement des systèmes de gouvernance et de gestion ainsi que les services écosystémiques. Les femmes agricultrices bénéficient de formations dans la gestion des ressources naturelles et terrestres, notamment pour apprendre les techniques les plus adaptées à la transformation de produits locaux ou pour mettre en place un calendrier de cultures permettant d’améliorer les pratiques agricoles et de faciliter les récoltes à travers la bonne gestion des ressources naturelles.

Aujourd’hui, le projet collabore avec 25 associations de gestion locale collective des espaces forestiers et pastoraux, réparties sur 11 communes, couvrant 61% de la superficie de la wilaya soit 628.300 hectares.

Activités du projet CoRNT soutenu par la GIZ (Crédit photo GIZ)

Le projet a également pour objectif d’aider au développement d’une unité de transformation des produits forestiers non ligneux commune. La création et le développement économique d’emplois verts féminins sont aussi accompagnés. Grâce au projet, près de 1.200 personnes sont employées dans la transformation des produits forestiers non ligneux, dont 99% de femmes!

Mahfoudah Mint Mohamed, présidente de l‘association d’utilisateurs de Tachott-Hassi Cheguar, témoigne:

La gestion commune de nos ressources naturelles nous a soudés. Avant, on pouvait voir le prochain village depuis ici. Aujourd’hui, il y a tant d’arbres que nous avons à nouveau une forêt. La forêt nous fournit de la nourriture et beaucoup d’autres produits (comme par exemple la gomme arabique). Ceux-ci sont récoltés par des femmes. On sent aussi que les pares-feux que nous avons construits empêchent la destruction des surfaces pâturables. Les conditions de vie améliorées font que les jeunes restent davantage au village. Nous avons plus d’eau, de nourriture, de surfaces pâturables et de cohésion sociale qu’il y a quelques années. »

Activités de transformation du projet CoRNT soutenu par la GIZ  (Crédit photo GIZ)

Coumba Hamady Diallo, transformatrice de l‘association d’utilisateurs de Moudji Sud fait aussi part de son expérience:

Nous sommes très heureuses de travailler avec le projet GIZ de la coopération allemande et avec la Structure Faîtière des AGLC du Guidimakha. Avant nous n’étions que des femmes au foyer mais grâce au projet nous sommes devenues aussi des transformatrices de PFNL […] Nous connaissons l’importance des arbres, par exemple du Balanites et de ses fruits qui donnent du sirop, de l’huile, du savon et aussi des aliments pour le bétail. Et aujourd’hui, grâce aux surveillantes, personne ne peut abuser de la forêt.»

Les questions agricoles et alimentaires restent au coeur des priorités de l’Alliance Sahel. En juin dernier, lors du 9ème comité de pilotage, le groupe de coordination « Agriculture, développement rural et sécurité alimentaire » de l’Alliance Sahel a publié une série de recommandations. Parmi celles-ci, le renforcement de la résilience des populations les plus vulnérables aux changements climatiques par le biais d’initiatives telles que la restauration des agroécosystèmes, les pratiques agricoles durable et « climate-smart », la digitalisation de l’agriculture ou encore la gestion de l’eau. Les femmes rurales du Mali et de Mauritanie jouent déjà amplement leur rôle dans ces recommandations.

Un article réalisé par Sadjo Coulibaly et Raissa Chaitou (Octobre 2022)

Sources:


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