Actualités et Presse

Dans la région du Lac Tchad, la radio permet de toucher les cœurs et les esprits

Radio Ndarason, créée en 2015, est une plateforme pour promouvoir un discours local de paix pour tous les acteurs touchés par la crise actuelle dans la région du Lac Tchad.

Chaque jour, RNI est en ondes pendant 24 heures, diffusant sur 6 fréquences FM au Tchad – N’Djamena, Liwa, Baga Sola, Bol, Ngouri et Doum Doum (et bientôt Mao). Six heures par jour, RNI couvre toute la région du lac Tchad et au-delà en ondes courtes – trois heures le matin et trois heures le soir. Le contenu est réalisé dans les studios de N’Djamena et Maiduguri et rassemblé à partir d’un réseau de correspondants dans les quatre pays du bassin du lac Tchad.

Journaliste de RNI à la rencontre des acteurs de terrain. Crédit photo: RNI 2019

A la découverte de cette radio pionnière, interview avec David Smith, initiateur du projet Radio Ndarason et directeur Exécutif d’Okapi Consulting.

Quel rôle joue Radio Ndarason international (RNI) dans la construction de la paix dans la région du Lac Tchad?

RNI est une plateforme de dialogue virtuel. Le Lac Tchad et le Grand Sahel sont des endroits où existe une tradition orale, c’est pour cela que la radio fonctionne très bien là-bas. On parle, on discute pour résoudre les problèmes depuis des siècles. La radio permet aux populations du Lac Tchad de discuter ensemble, dans leur langue. C’est avec leur savoir-faire local que l’on va trouver le meilleur chemin à prendre pour sortir de la crise qui sévit depuis des années dans la région du Lac Tchad.

La radio est très puissante et très importante dans cette région, elle permet de toucher les cœurs et les têtes. Avec RNI, c’est la première fois que les langues locales sont diffusées sur les ondes partout aux environs du Lac Tchad. C’est un outil hyper puissant pour livrer des messages et discuter avec les gens du Lac. Pour toucher les populations et traiter des sujets qu’elles vont comprendre, la communication doit être orale car il n’y a ni livre, ni journaux. La radio est le seul moyen d’aborder des thématiques, d’être compris et d’avoir une réponse de nos auditeurs.  

Comment traitez-vous les sujets abordés dans les émissions de la RNI?

David Smith, initiateur du projet Radio Ndarason et directeur Exécutif d’Okapi Consulting.

Nous partons du principe qu’il y a souvent plus d’une réponse à une question. Nous avons lancé des émissions avec ce que l’on appelle le discours alternatif-constructif. Par exemple si Boko Haram utilise des versets du Coran pour justifier des actes violents, à la radio nous invitons des experts incluant des experts de l’Islam pour comprendre les versets, voire même des hadiths, d’une façon pacifique.

Mais la vie au Lac ne tourne pas exclusivement autour de sujets liés à la violence.  Nous diffusons beaucoup de contenus sur le développement, l’agriculture, la pêche, l’élevage,… Comment les éleveurs et les agriculteurs peuvent vivre ensemble? Quelle est l’importance de l’éducation? Dans la région, les taux d’analphabétisme sont parmi les plus élevés au monde. S’informer par les ondes de la radio répond à une réalité.

Ce sont les postes de radio traditionnels qui sont le plus utilisés dans la région du Lac Tchad. Tout le monde ne possède pas une radio mais tout le monde à accès à une radio! Un jeune berger qui n’a jamais vu une ville a accès à une petite radio analogique qui a des ondes AM, FM et des ondes courtes. Ce jeune sait exactement à quelle heure il y a des émissions Ndarason dans sa langue ou à quel moment il y a des émissions de la BBC service en Haoussa…

Quelle approche utilise RNI pour toucher les sujets qui intéressent ses auditeurs?

Notre radio a des correspondants un peu partout dans la région, nous essayons d’être au plus proche de nos auditeurs. On a des pigistes dans à peu près tous les villages importants, de Zinder au Niger à Chibok au Nigéria, à Baga Sola au Tchad…

Même au fin fond du Lac Tchad, une grande partie de nos auditeurs ont des téléphones portables et participent à des émissions « lignes ouvertes » quotidiennes. Plusieurs fois par jours nos animateurs posent des questions pour savoir quels thèmes intéressent nos auditeurs et interagissent via téléphone ou via les réseaux sociaux. Nous parlons à un auditoire ciblé dans la région du Lac Tchad, nous répondons à leurs préoccupations, c’est cela qui fait la différence avec les autres radios internationales ou avec les radios locales qui touchent une toute petite cible.

Prise de son – musique traditionnelles – pour l’habillage d’une émission radio. Crédit photo: RNI

La plupart des auditeurs qui appellent la radio, adressent des questions sur comment améliorer leur vie: comment amener mes poissons au marché, comment faire de meilleures récoltes. Il y a des questions également au sujet de la gouvernance, sur le renforcement des services de l’Etat dans cette région isolée.

Dans une réunion avec les villageois boudoumas sur une des îles du Lac Tchad (étendue partagée entre 4 pays), nous leur avons demandé ce que les gens voudraient que l’Etat fasse pour eux. Ils ont répondu « Nous voulons des papiers, on veut faire partie d’un Etat car jusqu’à présent on ne sait pas à quel pays on appartient!« . Et sans papiers, pas d’accès aux services de l’Etat. En créant via la radio des ponts entre les Bourouma du Lac Tchad, les autorités, les acteurs locaux, on peut faire apparaître des problématiques qui n’étaient que trop peu visibles et trouver des solutions. Ça, c’est la magie de la radio. Nous avons souvent des représentants des autorités locales qui viennent à la radio pour parler, pour répondre aussi aux questions de nos auditeurs.

Qui sont les principaux publics de RNI? Quelle est la place des femmes?

Zara Mahamat – Kanembou – chef des techniciennes de la radio et lauréate de la Bourse RFI Ghislaine Dupont et Claude Verlon 2021. Crédit photo: RNI

Nous avons 7,5 millions d’auditeurs quotidien. La plupart des auditeurs sont au Nigeria, car c‘est le pays le plus densément peuplé de la région du Lac Tchad. Il y a dix millions de personnes qui habitent dans la zone autour du Lac. On peut donc conclure que la grande majorité de la population nous écoute!

La région du Lac est très conservatrice et les appareils radios sont dans les mains des hommes. Les femmes ont dans cette région malheureusement souvent une position de deuxième classe. En général, elles écoutent la radio là où se trouvent les hommes. Nous avons beaucoup d’émissions qui ciblent des femmes, et si l’animatrice n’est pas une femme, nos auditrices vont être inquiètes et gênées. Mais si c’est une femme qui parle, la gêne disparaît. Une grande partie de ce que nous faisons vise à renforcer la position de la femme dans la région du Lac Tchad.

Au sein de l’équipe RNI, notre politique, c’est la parité. Souvent nous trouvons des femmes très aptes pour travailler à la radio mais leur père, leur mari ou même leur fils peuvent leur interdire de travailler à la radio. Heureusement nous arrivons souvent à convaincre les familles de laisser ces femmes travailler. Ils finissent par comprendre que ce que leur mère, leur femme, leur sœur est en train de faire est utile pour aider au développement de leur pays, et même de leur famille.

Si on veut du développement au Lac Tchad, il faut regarder loin, renforcer les projets comme cette radio pendant une longue période, pour que les changements s’installent dans les mentalités.

Comment vos équipes gèrent les enjeux de sécurité sur le terrain?

Nous travaillons dans une zone de crise, il y aura toujours des problèmes et des risques, sinon on ne serait pas là! Nous faisons de notre mieux pour minimiser les risques, mais il y en aura toujours.

Pour les infrastructures, nos studios se trouvent à N’Djamena et à Maiduguri dans les zones sécurisées. Notre partenariat avec les Commissions du Lac Tchad nous donne autorisation de loger nos studios partout où il y a un quartier général de la Force Multinationale Mixte. Mais Radio Ndarason n’est pas une radio militaire. Les militaires nous mettent un espace à disposition à l’intérieur de leur base pour des fins de protection et de logistique. Un des journalistes de RNI m’a dit un jour: « Dans la région du Lac, lorsque l’on est cultivateur, pêcheur, chômeur ou journaliste, on est une personne à risque. Nous avons envie de faire partie de la solution plutôt que du problème. Les résultats sont beaucoup mieux si on essaie de faire quelque chose! » Je n’ai jamais vu sur ce continent un journaliste refuser de couvrir un sujet parce qu’il ou elle avait peur, c’est vrai pour les femmes aussi.

Quelles sont les autres challenges de RNI?

Le plus grand défi est de garantir la disponibilité des fonds pour garder la radio sur les ondes. C’est mon travail quotidien le plus important. Heureusement nous avons des bailleurs qui croient en nous, qui aiment ce que l’on fait. Mais c’est toujours un défi. Sans financement, pas de radio. Evidemment les bailleurs ne vont pas financer un projet comme celui-là pendant une éternité.

Avec 7,5 millions d’auditeurs quotidiens et avec le projet que l’on veut construire autour du lac Tchad, on a la possibilité d’avoir une radio avec des émissions sponsorisées par des agences humanitaires, avoir des publicités par les entreprises de la région… Nous avons la même ambition d’accompagner les populations du Lac Tchad à tourner la page de la violence et construire le développement.

Interview d’Adrien Haye, Coordinateur de l’Alliance Sahel, dans les studios de RNI à N’Djamena

Quel est le rôle des jeunes dans la radio?

La population du lac est très jeune. C’est une pyramide de population très large à la base. Ce que nous faisons est comme une radio publique pour la région. Le plus important pour toucher les jeunes, c’est la langue, les émissions en langue locale. Par ailleurs, nos journalistes sont très jeunes. Nous les avons recrutés car ils ou elles avaient une volonté d’apprendre et de faire quelque chose pour leur région. Nous les avons formés. Nos journalistes viennent de cette région et ils connaissent d’une façon intime et profonde nos auditeurs.

Nous avons aussi des émissions ciblées pour les jeunes car elles sont animées par des jeunes invités en studio: on créée des émissions pour les jeunes faites par les jeunes hebdomadairement. C’est du jamais fait dans la région. RNI est une radio pionnière. Une radio pour les jeunes, par les jeunes.

Découvrez le site web de Radio Ndarason Internationale

Ecoutez l’interview d’Adrien Haye au sujet de l’Alliance Sahel sur les ondes de Radio Ndarason:

Radio Ndarason fait partie des projets labelisés Alliance Sahel, elle a reçu un appui financier de plusieurs membres de l’Alliance Sahel (France, PNUD, Canada, Pays-Bas, Suisse…).


Partager :